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Antoni Clavé

Hôtel des Arts, Toulon

Exposition du 30 juin 2012 - 02 septembre 2012




Peu d'artistes, au cours du XXe siècle ont produit comme Antoni Clavé une oeuvre qui concilie une aussi forte cohérence avec un besoin ininterrompu d'expérimentation.

Né en 1913 en Espagne à Barcelone, Antoni Clavé s'est éteint en 2005 à l'âge de 92 ans à Saint-Tropez dans le Var où il résidait depuis 1965. Il n'est pas exagéré de dire que toute son existence a été consacrée à la peinture si, à l'exception de l'enfance et l'intervalle de la guerre civile espagnole, on prend comme point de départ son entrée à l'âge de treize ans aux cours du soir dispensés par l'école des Beaux-arts de Barcelone et, à la fin de sa vie, l'immense toile intitulée Le point rouge (220 x 335 cm) magistralement exécutée en 2004 à l'âge de 91 ans !

La peinture, il l'a en effet connue et pratiquée sous tous ses aspects : comme apprenti d'abord, entré à treize ans dans l'entreprise de peinture en bâtiment Tolosa où il est initié aux secrets des apprêts, badigeons, colles, faux bois, faux marbre, au dessin de la lettre et au trompe-l'oeil ; une formation irremplaçable qui explique certainement la virtuosité technique dont il fera preuve tout au long de sa vie de peintre ; comme affichiste ensuite, une nouvelle activité pour laquelle il quitte en 1933 le métier de peintre en bâtiment et l'école des Beaux-arts.

Il excelle dans sa nouvelle profession et très rapidement acquiert une solide réputation, notamment dans le domaine des affiches de cinéma auxquelles il imprime un style très personnel très éloigné du réalisme inhérent au genre, au profit d'un travail beaucoup plus graphique, proche de la conception de l'affiche adoptée en France par Cassandre. La revue berlinoise Gebrauchs graphik ne s'y trompe pas qui consacre en 1935 un article aux affiches de films en Espagne entièrement illustré par des réalisations de Clavé. Même la guerre civile jouera indirectement un rôle dans sa vie d'artiste, puisque après avoir combattu sur le front d'Aragon dans les rangs de l'armée républicaine, il sera, après la défaite, interné dans un camp de prisonniers à Piras de Mollo puis à Perpignan ; et c'est à ce séjour forcé en camp de concentration au cours duquel il croque ses compagnons d'infortune, qu'il devra sa première exposition dans une pâtisserie-salon de thé de Perpignan, après sa libération du camp.

Arrivé à Paris en avril 1939 totalement démuni et sans papiers réguliers – il avait fui l'Espagne non seulement parce qu'il avait combattu dans les rangs de l'armée républicaine mais aussi et surtout, en raison de ses activités d'artiste antifasciste dans lesquelles il s'était illustré – il parvient pourtant à réaliser des bandes dessinées pour une revue enfantine et en avril 1940 expose à la librairie Au Sans Pareil, puis au mois de mai 1942 à la galerie Castelucho avec d'autres peintres espagnols.



  • LA PÉRIODE NABIE

    Sa peinture à cette époque est directement influencée par les Nabis, notamment par Bonnard et Vuillard ; cela peut étonner aujourd'hui au regard du caractère profondément « espagnol » qu'adoptera rapidement son oeuvre et des développements quasi abstraits et superbement expressionnistes qui suivront. Mais ce serait oublier le prestige et l'immense influence qu'ont eu les Nabis sur une grande partie de la peinture en France jusqu'aux années soixante, notamment auprès des artistes étrangers résidant à Paris, tel Clavé, attiré par cette peinture inconnue en Espagne, mais aussi le Russe Terechkovitch, Kimura qui quitte le Japon pour la France afin d'y retrouver la lumière de Bonnard, Ivan Puni (qui francise son nom en Jean Pougny), un des membres majeurs de l'avant-garde russe (à l'origine du mouvement futuriste avec Malevitch), qui après son installation définitive à Paris en 1924, trouve une nouvelle forme d'expression dans la proximité des Nabis, auxquels il apporte une nouvelle fraicheur. De nombreux artistes français qu'on pourrait qualifier de post Nabis occupent une place considérable sur l'art officiel de l'époque, tels Legueult et Brianchon. Aujourd'hui encore de nombreuses oeuvres du Danois Per Kirkeby, présentent des similitudes troublantes avec des toiles de Maurice Denis ou Paul Sérusier. Il n'est d'ailleurs pas indifférent de noter que dans la maison de Clavé aux murs de laquelle ne figurait aucune de ses propres oeuvres, était accroché un petit Pougny.

    Ce détour par la période Bonnard/Vuillard/Pougny ne constitue certes, qu'une première étape dans sa trajectoire de peintre qui sera rapidement dépassée et sur laquelle il ne faut pas inutilement insister, en observant qu'elle a néanmoins assuré une excellente transition vers son oeuvre à venir. En effet, non seulement la peinture de cette première manière(1) met en évidence des qualités picturales hors du commun, mais elle préfigure également pour une part l'univers clavétien à venir. Même s'il est vrai, comme le fait remarquer avec ironie et justesse Gérard Genette, que l'historien et le critique d'art ont la fâcheuse tendance à postuler que l'oeuvre de tout grand artiste est nécessairement cohérente et originale, il nous faut prendre le risque de cette illusion rétrospective en observant que se manifeste déjà chez le Clavé nabi, comme d'ailleurs chez son maître et ami Picasso – et peut-être chez les Espagnols en général – une inappétence pour le spectacle de la nature et du paysage, au profit de l'univers clos des scènes domestiques, du portrait, et des natures mortes.

    Clavé s'attache ainsi dans cette période, à évoquer l'atmosphère intime des scènes d'intérieur : un rai de lumière qui filtre de l'extérieur et éclaire une scène de vie familiale, une femme qui repasse le linge, la mère du peintre assise dans la salle à manger, ou de dos dans la cuisine. Il convient d'observer que Clavé, au delà du sujet traité, est avant tout intéressé par l'acte de peindre et par la sensualité mystérieuse qui s'y attache. Déjà, comme chez Vuillard et Pougny, on observe que les motifs des papiers peints, des rideaux, des tapis et des vêtements commencent à jouer un rôle égal aux personnages représentés, (de même qu'à l'époque classique, la reproduction des étoffes aux riches motifs, brocards, fourrures, bijoux et tentures constituait l'exercice dans lequel les peintres pouvaient rivaliser de virtuosité, le portrait n'étant souvent qu'un alibi leur permettant de s'adonner à leurs prouesses décoratives).

    Cette fascination précoce pour les motifs décoratifs : papiers peints, étoffes, le plissé et le froissé, occupera ainsi sous divers avatars, une place croissante dans l'oeuvre future du catalan : costumes d'arlequins dans les années quarante (un thème cher à Picasso et à Pougny), grandes tapisseries-assemblages réalisées à partir de chutes de tissus, peintures sur tapis, morceaux de tissus ou de papiers peints collés sur la toile, jusqu'aux faux tissus froissés (dont il gardera jalousement le secret de fabrication) à partir des années quatre-vingts.

    Ainsi il semble déjà possible, en anticipant sur ce qui sera dit, de dégager un élément central et caractéristique du processus mental et créatif en oeuvre chez Clavé, chez qui le stock d'émotions, d'impressions et d'images amassé au cours de l'enfance et de l'adolescence semble avoir fixé une fois pour toutes les contours de son imaginaire et constitué le moteur de sa création. Le souvenir des vieux murs couverts de graffiti des ramblas de Barcelone, les images et les contes de chevalerie de ses livres d'enfant, les images des tableaux du Greco et de Velasquez vues aux cours du soir de l'école des Beaux-arts de Barcelone – peut-être celle de L'homme au casque d'or de Rembrandt dont la reproduction était visible au mur de son atelier du cap Saint-Pierre (2) – sans omettre évidemment les papiers peints, les trompes-l'oeil, faux marbres et faux bois qui ont accompagné son adolescence au sein de l'entreprise Tolosa (3), constitueront l'humus et le matériau quasi unique de son oeuvre.

  • UNE JOURNÉE PARTICULIÈRE

    Une journée passée chez Picasso au mois de juin 1944, lui fait comprendre que sa vérité se situe ailleurs que dans cette peinture post-impressionniste française finissante, et qu'il lui faut assumer le risque d'être lui-même, c'est-à-dire un peintre catalan espagnol qui doit se confronter à sa culture et son histoire, et développer son propre langage : « […] Un jour avec des amis catalans, j'ai passé une journée entière avec lui [Picasso]. C'était le jour du débarquement, mais évidemment on ne le savait pas. Ce fut une révélation fantastique. Il m'a montré beaucoup de choses. En voyant l'homme, ses oeuvres, j'ai compris beaucoup de choses ce jour là. Et je n'ai pas appris ce que je devais faire en peinture, mais j'ai appris tout ce que je ne devais pas faire. J'en suis sorti complètement transformé. » (4).

    Mais le matériau et les expériences picturales amassés jusque là s'intègrent sans reniement brutal dans sa nouvelle manière de peindre, les choses évoluant progressivement et avec naturel ; il réalise ainsi plusieurs portraits de son fils Jacques assis sur une chaise, comme aurait pu le faire Pougny, mais dans une atmosphère colorée et avec un traitement très différents : les toiles sont quasiment monochromes, et jouent sur les diverses tonalités des bleus, des ocres des gris et des noirs.

    De même on observe le passage insensible des portraits peints avec fidélité jusqu'en 1942, à ceux de son fils Jacques déjà moins caractérisés de 1944, qui feront place à partir de 1945 à des portraits d'enfant de plus en plus impersonnels, pour devenir dès 1946 et au cours des années suivantes, des visages stéréotypés qui paraissent sortis des fresques du monastère mozarabe de Saint-Michel de Cuxa ou de la statuaire médiévale.

    Ils peuvent tout à la fois représenter des « mannequins de modiste » en 1950, des « rois », des « reines » et des « guerriers » dans les années cinquante. Enfin ils se réduiront à un simple tracé ou à une grosse tache de peinture vaguement circulaire, avec deux points noirs pour figurer les yeux, un tracé vertical pour le nez et une balafre horizontale pour la bouche. Souvent la totalité de ces éléments identificateurs n'est même pas réunie ; peu importe à Clavé pour qui seule compte la vérité du tableau et qui joue de ces repères figuratifs comme de simples signes graphiques.

    Ce phénomène est parfaitement visible dans le tableau Souvenir de l'année 28 réalisé plusieurs années plus tard, constitué de plusieurs plages de blancs, de gris et de terres qui s'interpénètrent dans une composition à la fois relâchée et parfaitement structurée, dans laquelle les seuls repères se rattachant à la réalité sont l'empreinte d'une main (ou d'un gant ?), quelques motifs décoratifs peints au pochoir et – pratiquement invisible au bas de la toile – le dessin d'une tête, sommairement tracé à la manière d'un tag ou d'un dessin d'enfant.

    Le matériel iconographique chez Antoni Clavé se réduit à quelques éléments récurrents, toujours renouvelés par sa prodigalité graphique. On peut facilement en dresser la liste : Le chapeau d'arlequin qui devient au gré des tableaux, un chapeau de torero ou une couronne de roi ; la main sur la poitrine dans la série des hommages au Greco qui devient un gant (Clavé en a trouvé un sur un trottoir de New York qu'il utilisera d'innombrables fois) ; un visage (celui de son fils Jacques) qui cèdera la place à la forme dévitalisée d'un mannequin, puis du gentilhomme du Greco, des rois, des reines et des guerriers, pour n'être plus que la simple trace d'une tête comme il vient d'être dit. Et c'est à peu près tout. Pourtant le rôle joué par ces maigres repères figuratifs est essentiel à Clavé pour rester arrimé au monde imaginaire qu'il s'est créé et l'empêcher de basculer dans l'abstraction totale, alors qu'il en maitrise parfaitement le langage.

    Car ce qui est au coeur de cette oeuvre si profonde et emplie de mystère, aux formats souvent monumentaux c'est la peinture pure qui tire ses ressources de ses seules qualités sensibles, pour atteindre au delà du visible, la stature des grands maitres. Elle allie, chez les contemporains, la puissance et la force dramatique de Tàpies à la richesse baroque de Robert Rauschenberg.

  • INFLUENCES OU STIMULATIONS ?

    Clavé, à la question posée de ses influences, avait repris à son compte la réponse apportée par Francis Bacon : « vous savez, nous les peintres, nous sommes un peu comme des pickpockets : nous prenons tout ce qui peut nous aider, nous servir. » et d'ajouter qu'« effectivement on prend et souvent malgré soi. Et pas uniquement chez les autres peintres, mais n'importe où, n'importe quoi… un objet, un voyage, une affiche, un mot même. » (5).

    Cette idée qu'un artiste est une sorte d'éponge qui puise dans ce qui l'entoure pour nourrir sa création – Picasso en fournit un merveilleux exemple – n'a rien à voir avec l'influence que peut exercer un artiste sur un autre. Aussi, plutôt que d'influences convient-il, à propos de Clavé de parler de stimulations.

    De fait, hormis la phase nabie des débuts, Clavé n'a subi aucune influence directe, ni de ses contemporains ni de ses prédécesseurs, par contre il est certain que son imaginaire s'est nourri des grandes oeuvres du patrimoine artistique de l'art occidental, voire africain et oriental, des affiches vues sur les murs de New York ou Tokyo, des graffiti et des tags dessinés à la bombe, ou des objets du quotidien les plus divers et les plus humbles, et même les déchets et le rebut.

    À la différence de plusieurs artistes contemporains comme Günther Förg ou Stuart Cumberland qui revisitent l'art moderne au moyen de références identifiables, Clavé poursuit un dialogue invisible avec la grande peinture classique, dont il nous transmet avec un vocabulaire contemporain, les échos et le silence hypnotique sans recourir à l'apport d'images référencées. Ainsi une vague empreinte de main dans une toile composée de flaques de couleurs et de lignes sans significations, suffit à placer le spectateur dans un état de recueillement qu'il éprouverait en présence de la grande peinture de musée.

  • LA COULEUR CHEZ CLAVÉ

    Lorsqu'on cite dans la conversation le nom de Clavé, spontanément vient à la bouche de l'interlocuteur : « Ah les rouges de Clavé ! ». Dans son entretien avec Henri-François Debailleux, Clavé lui-même acquiesce à cette idée et confirme que cette couleur l'a fasciné pendant de longues années avant de l'abandonner au profit d'une palette plus monochrome faite de bleu, de noir et de blanc.

    En réalité lorsqu'on parcourt l'ensemble de son oeuvre, on observe qu'un très grand nombre de toiles à toutes les époques sont exemptes de rouge, et proches de la monochromie, réalisées dans la gamme infinie des blancs, des gris, des noirs et des terres. Souvent même, c'est le bleu qui apporte la note colorée, car dans la conception que se fait Clavé de la couleur, une peinture ne doit pas comprendre beaucoup de couleurs ce qui en amoindrirait la force. Pour faire chanter la couleur d'un tableau Clavé peint au contraire dans les tons sombres (ou clairs, c'est selon), avec soudain l'irruption d'un bleu ou d'un rouge qui fait « exploser » l'ensemble. Le rencontrant il y a de nombreuses années dans son atelier, il m'avait donné un unique conseil – car par modestie il répugnait à endosser le costume du Maitre : « Le secret de la couleur, c'est de peindre sale. » Et cela fonctionne puisqu'on garde de Clavé le sentiment que sa peinture est magnifiquement et puissamment colorée, alors même que la présence de la couleur est loin d'y être hégémonique.

    En cela il est proche d'autres Espagnols, comme Tàpies, Antonio Saura ou Millares, fascinés par la force tragique des noirs. Parmi les autres couleurs le vert est très rare, le jaune et le violet totalement absents. Clavé confesse qu'il a horreur de ces deux couleurs pour ses tableaux.

  • LA MAÎTRISE DES FORCES ET L'ORGANISATION DU CHAOS

    Bien qu'invitant au silence et au recueillement en raison de la noblesse, et la puissance imposante qu'elle dégage, la peinture de Clavé est pourtant emplie de bruit et de fureur. Elle peut être jetée en gestes rageurs, provoquant giclures et coulures incontrôlées, ou bien étendue en jus légers, qui laissent transparaitre les couches inférieures. Le geste, soumis à des pulsions irraisonnées, provoque inévitablement des accidents.

    Clavé en a pris son parti et les accepte ; même il en en joue. Sa peinture progresse ainsi par essais et erreurs, avec des avancées soudaines et inespérées suivies de régressions tout aussi soudaines, provoquées par un simple geste mal dosé, par une tentative de correction qui ne fait qu'aggraver la faute, par la perte de concentration de l'artiste qui en a pris trop tard conscience. Jusqu'à ce qu'elle atteigne un certain stade la toile est illisible et offre un chaos constitué de grandes plages de couleur passées sans soin avec un gros pinceau de peintre en bâtiment, de longs traits négligemment dessinés, qui parcourent la toile et tentent en vain de la structurer.

    Clavé pratique ainsi, se fiant à son instinct de peintre et à sa voix intérieure qui lui dictent le geste à faire, la couleur et le mélange à utiliser, la brosse à prendre, la pression exacte et la vitesse avec lesquelles faire glisser le pinceau. Question de métier et de grâce. Chaque séance de peinture constitue ainsi une nouvelle aventure, un saut dans l'inconnu, rendant en partie caduques les étapes qui l'ont précédée. Il y a ces longues stations de l'artiste dans son fauteuil devant la toile, les yeux mi-clos, dans l'attente d'une sensation, d'une impulsion et de l'énergie nécessaires pour le remettre en action. Au fil des séances pourtant, le chaos s'organise, les forces antagonistes sont domptées jusqu'à atteindre un équilibre fragile entre ordre et désordre, tension et stabilité ; un dernier signe tracé dans l'urgence et une dernière tache de couleur apporteront peut-être le point final. Et puis c'est le silence ; l'artiste ne peut plus continuer,il est expulsé de son tableau. Clavé le confirme : « [Je travaille] lentement et difficilement. Quelquefois, je travaille un tableau et tout à coup je vais le laisser dans un coin. Je ne le regarde plus parce que je ne sais plus le continuer. Il n'est pas fini mais, si vous me demandiez ce qui manque, je ne saurais pas vous répondre. C'est ça qui est très enquiquinant. Il manque quelque chose, mais quoi ? Peut-être est-il terminé ? Il m'est ainsi arrivé de laisser une toile sept ou huit ans dans un placard avant de la reprendre. » (6)

    Pourtant, malgré ces propos empreints de modestie, caractéristiques de la personnalité de Clavé, ses peintures donnent le sentiment d'avoir été faites avec une assurance et une sureté infaillibles, comme d'un seul coup. Malgré la surabondance des éléments qui les composent et leur extrême complexité, elles offrent au regard du spectateur, une évidence et une justesse miraculeuses.

    Clavé est certainement l'un des peintres les plus importants de son époque qu'on ne peut comparer qu'aux plus grands européens tels Rebeyrolle, Tàpies, Soulages, Francis Bacon, ou, côté américain, à De Kooning, Joan Mitchell, Robert Motherwell, Robert Rauschenberg et Cy Twombly pour évoquer des artistes oeuvrant dans des champs assez proches, et de générations voisines.

  • L'ESPRIT FAIT LA MAIN, LA MAIN FAIT L'ESPRIT

    Nous avons dit que Clavé était doté d'une habileté diabolique et d'un esprit curieux et inventif, tourné en permanence vers l'expérimentation. Ayant peu de goût pour la théorie et la spéculation intellectuelle, son intelligence s'exprime avant tout par ses oeuvres (mais aussi dans la conversation dans laquelle il faisait preuve d'une grande subtilité et de beaucoup d'humour). Jamais la formule d'Henri Focillon : « L'esprit fait la main, la main fait l'esprit » ne s'est mieux appliquée qu'à Clavé. Tracer sa voie en fonction d'un programme ou d'une approche conceptuelle est incompatible avec sa conception de la démarche artistique : « Je ne fais pas partie de ces peintres qui ont une voie tracée. Si je savais à l'avance où je vais, ce ne serait pas la peine de continuer. J'en serais malheureux et je fermerais tout. Je cherche simplement à faire un tableau qui arrive à me convaincre» (7)

    En conséquence Clavé a toujours refusé de s'installer dans un savoir-faire et le confort de recettes éprouvées. Bien qu'ayant été un des artistes les plus reconnus et recherchés tout au long de sa vie, il n'a jamais hésité à interrompre un cycle qui lui valait le succès pour s'aventurer en territoire inconnu, dans le refuge sûr de son atelier tropézien, loin des bruits du monde et de l'agitation du milieu de l'art parisien.

    Ainsi, parallèlement à son travail de peintre et de graveur, et à l'instar de Matisse et Picasso, Clavé a-t-il pratiqué avec passion la sculpture, même si sa renommée de peintre et de graveur a quelque peu éclipsé celle de sculpteur. Pourtant il a travaillé très tôt cette discipline, aux Beaux-arts de Barcelone d'abord, où il a choisi en première année la classe de sculpture, avec comme professeur, Angel Ferrant, grand champion des avant-gardes et professeur de grande compétence (8), puis par la réalisation en 1939 à Paris de trois sculptures/objets dans un style résolument avant-gardiste d'esprit Dada, qui sont les premières oeuvres significatives qu'on connaisse de lui, avant même les peintures de sa période Vuillard/Bonnard. Déjà dans ces trois pièces, se manifeste un gout pour le bricolage, pour les assemblages d'éléments et d'objets hétérogènes, ainsi qu'une propension à l'ironie typique des Espagnols, notamment des Catalans. Clavé ne reviendra au volume qu'en 1960, année pendant laquelle il produit une impressionnante série de sculptures au plomb fondu, dans lesquelles se manifeste, comme dans sa peinture et son travail de graveur, un talent inégalé pour leur donner grandeur et mystère. Le thème en est la figure humaine. Ses personnages peuvent être identifiés à des rois, des reines ou des guerriers, vestiges de hautes civilisations guerrières disparues. De taille modeste en 1960, les sculptures de Clavé atteindront au fil des années des dimensions monumentales.

    Ainsi en 1986, la Municipalité de Barcelone lui commande-t-elle une oeuvre à l'occasion de l'Exposition universelle de 1988. Cette sculpture, haute de 14 mètres, est installée dans le parc de la citadelle où, enfant, sa famille l'emmenait promener. C'est pourquoi en raison des souvenirs que ce lieu évoquait pour lui, a-t-il souhaité en faire don à la ville qui l'avait vu naître.

  • L'EXPOSITION

    Il était tentant de retracer l'impressionnante évolution et le foisonnement qu'a connus l'oeuvre de Clavé au cours de ses quelques soixante années d'activité, et ce, dans les différents domaines où son art s'est exercé : les maquettes des décors et des costumes pour les opéras de Roland Petit, l'illustration de livres bibliophiliques comme le Gargantua de Rabelais et la Gloire des Rois de Saint-John Perse, la peinture représentée dans ses différentes phases, les tapisseries/assemblages, l'oeuvre gravée d'une force exceptionnelle, et enfin l'oeuvre sculptée dans ses multiples formes. Mais un tel projet aurait exigé au moins le triple des surfaces dont nous disposons. Aussi, avons-nous pris le parti de présenter, pour sa peinture, la période qui couvre les trois dernières décennies, composée de pièces impressionnantes, à la fois par leur taille et leur puissance plastique. Une salle est néanmoins réservée à une série de toiles dédiées au Greco datant des années soixante, qui comptent parmi ses peintures les plus fascinantes, et dont l'ensemble de l'oeuvre à venir conservera la trace.

    L'exposition comprend également des gravures et plusieurs sculptures, qui dialoguent avec la peinture et en confortent l'imposante noblesse.

    Gilles Altieri, commissaire de l'exposition

    (1) En réalité Clavé avait réalisé en 1939 à Paris trois peintures/objets avant-gardistes d’inspiration dadaïste qui, sous cette forme, resteront sans lendemain, mais dont on retrouvera la trace transfigurée dans sa sculpture et ses futurs objets, par l’utilisation et l’assemblage de matériaux sans qualité et de rebut et dans son goût pour le mélange des techniques.
    (2) Ce chef-d’oeuvre absolu n’est plus aujourd’hui attribué à Rembrandt.
    (3) Sa formation dans l’entreprise de peinture Tolosa était tellement complète qu’il lui avait même été demandé de reproduire des oeuvres des grands maîtres, comme la Reddition de Breda de Vélasquez
    (4) Clavé, un homme de métier. Entretien avec Henri-François Debailleux. Libération du Mardi 16 août 1994
    (5) ibid.
    (6) ibid.
    (7) ibid. .
    (8) Lluis Permanyer. Clavé sculpteur. Editions Cercle d’art. 1989.



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