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Jean-Léon Gérôme

L'histoire en spectacle

Musée d'Orsay, Paris

Exposition du 19 octobre 2010 - 23 janvier 2011




Jean-Leon Gerome
Jean-Léon Gérôme, "Pollice Verso", 1872 - Huile sur toile, 97,5 x 146,7 cm, Phoenix Art Museum © Phoenix Art Museum

Jean-Léon Gérôme fut longtemps stigmatisé comme l'emblème d'un académisme stérile, avant que la perception de l'artiste n'évolue profondément au cours des dernières décennies. Il est aujourd'hui compris comme l'un des grands créateurs d'images du XIXe siècle.

L'exposition, comme le catalogue qui l'accompagne, abordent tous les enjeux de l'oeuvre, de ses sources à son influence. Elle souhaite donner à voir et analyser la foisonnante mise en oeuvre d'une grammaire visuelle, qui pousse parfois l'obsession illusionniste jusqu'à l'étrange, et entre en résonance avec tous les arts visuels, estampe, photographie jusqu’au cinéma, alors naissant, sur lequel l’influence de Gérôme est profonde. Elle souhaite notamment faire le point et proposer des approches renouvelées sur des questions aussi diverses que la place de Gérôme dans la peinture française de son temps, sa conception théâtralisée de la peinture d'histoire, son rapport complexe à l'Orient, son usage de la polychromie en sculpture son rapport à la référence archéologique, du mouvement néo-grec aux codifications pédagogiques déduites de ses oeuvres, mais aussi comment la figure de l'artiste a cristallisé tout le combat anti-académique de la fin du XIXe siècle, et enfin, le singulier destin américain de son oeuvre.

Entré à seize ans dans l’atelier de Paul Delaroche, Jean-Léon Gérôme revendique très tôt l’héritage du grand peintre qu’il a rejoint à Rome en 1843. Restant toute sa vie muet sur son passage dans celui de Charles Gleyre, il se place également sous l’influence directe de Jean-Dominique Ingres, qui méprise Delaroche et ne fut jamais le maître de Gérôme. La tradition académique dont ces deux artistes sont alors les plus grands défenseurs s’épanouit ainsi dans l’art du jeune Gérôme, que ce soit dans le genre de la peinture d’histoire (La République, 1848, Mairie des Lilas), ou dans celui du portrait (Tête de femme italienne, 1843-1844, Cleveland Museum of art ; Portrait d’Armand Gérôme, 1848, Londres, National Gallery, dépôt possible à la National Gallery de Dublin ; Portrait de femme, 1851, Art Institute of Chicago ; Portrait de Rachel, 1859, Paris, Comédie Française). C’est dans l’atelier de Delaroche que le peintre rencontre Gustave Le Gray. Les deux hommes deviennent vite très proches, comme en témoigne la photographie prise par Le Gray, sans doute au chalet, l’atelier communautaire que Gérôme occupe alors (Groupe d’hommes et une femme assis sur un perron,1848, Paris, Musée d’Orsay).

Avec le tableau intitulé Le combat de coqs exposé au salon de 1847 (Paris, Musée d’Orsay), un nouveau talent est révélé au public et son auteur proclamé chef de file d’une nouvelle école, les néo-grecs. Celle-ci compte entre autres parmi ses membres, tous élèves de Delaroche et de Gleyre, les peintres Jean-Louis Hamon et Henri-Pierre Picou. La démarche de ces artistes s’inscrit dans le climat de recherches qui animent le milieu parisien autour de 1850, à la fois en architecture, en sculpture et en peinture. L’intérêt pour l’antique, renouvelé par un désir du faire vrai archéologique, devient alors prétexte à des scènes de genre plaisantes et sentimentales, mettant en scène une antiquité humanisée et intimiste dans un style parfois archaïsant (Anacréon, Bacchus et l’Amour, 1848, Toulouse, Musée des Augustins ; Le roi Candaule, 1859, Ponce, Museo de Arte).

Si Gérôme abandonne bientôt le style néo-grec pour satisfaire le goût contemporain pour « l’ailleurs », son désir de faire vrai ne s’étend pas moins à toutes les époques et à tous les lieux. Les peintures de l’artiste prenant pour sujet l’histoire nationale constituent la part de son oeuvre la moins connue. Or, qu’il s’attache à illustrer l’histoire moderne (L’éminence grise,1873, Boston Museum of Fine Arts ; Réception du Grand Condé à Versailles, 1878, Paris, Musée d’Orsay), l’histoire récente à travers la légende napoléonienne (L’exécution du Maréchal Ney, 1867, Sheffield, City Art Gallery), ou même des épisodes contemporains (Audience des ambassadeurs de Siam à Fontainebleau, 1864, Versailles, Musée national du château), Gérôme marque son originalité par son refus du grand sujet.

Le réalisme de l’anecdote et le goût du détail prennent ainsi le pas sur le rôle édificateur traditionnellement dévolu à la peinture d’histoire. L’instant peut bien sûr précéder immédiatement l’action. Il peut aussi efficacement lui succéder (Consumatum est, 1867, Paris, Musée d’Orsay ; Sortie du bal masqué, 1857, Baltimore, Walters Art Museum). De la même manière, le succès de la narration est servi par un sens de la composition qui a également beaucoup influencé les cadrages cinématographiques. D’autre part, ses représentations érudites de la civilisation romaine, son culte du détail archéologiquement exact qui irritait tant Charles Baudelaire, ont servi de référence naturelle à des reconstitutions spectaculaires et hautes en couleur, basées sur des images marquantes et largement diffusées. Ainsi les réalisations ressortissant du genre du péplum ont-elles été largement influencées par des oeuvres comme La mort de César (1867, Baltimore, Walters Art Museum) ou Pollice Verso (1872, Phoenix Art Museum), qu’elles datent de la grande époque du technicolor (Quo vadis de Mervyn Leroy en 1951 ; Ben-Hur de William Wyler en1959) ou d’une époque beaucoup plus récente (Gladiator de Ridley Scott en 2000).

Le même souci de théâtralisation est perceptible lorsque le peintre s’inscrit dans la veine orientaliste, qu’il s’agisse de peinture de paysage, de peinture religieuse, de scène de genre ou de nu féminin. Cela ne l’empêche pas de se montrer soucieux de la plus grande fidélité dans la reconstitution des lieux et des ambiances, du pittoresque de l’architecture ou de celui des costumes. Aux sujets colorés d’inspiration militaire ou islamique en Egypte (Le prisonnier, 1861, Nantes, Musée des Beaux-Arts ; La prière au Caire, 1865, Hambourg, Kunsthalle ; Bachi-Bouzouk nègre, 1869, collection particulière), répondent ainsi les compositions turques, décoratives et empruntes de sensualité (Bain turc ou Bain Maure, 1870, Boston Museum of Fine Arts ; Charmeur de serpents, 1880, Williamstown, Sterling and Francine Clark Institute).

L’ailleurs représenté n’est donc plus l’Orient imaginaire de la génération précédente. Très documentée, sa peinture est en effet nourrie par les croquis réalisés lors de ses voyages. Elle l’est aussi par les photographies prises sur place par ses compagnons (Auguste Bartholdi, Mocka, 1855-1856, Colmar, Musée Bartholdi ; Albert Goupil, Le Caire, 1868, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie), ou encore sur le toit de son atelier parisien (Anonyme, Modèle masculin vêtu à l’orientale, sur le toit de l’atelier, vers 1855, Paris, Musée d’Orsay).

Gérôme débute sa carrière officielle de sculpteur en 1878 dans le cadre de l’exposition universelle. Il est alors considéré par la critique comme le parangon de l’académisme. Très vite, l’artiste n’hésite cependant pas à prendre le contre-pied du dogme puisque sa conception, exprimée dans son tableaumanifeste Sculpturae vitam insufflat pictura, l’inscrit au coeur des débats et résistances sur la question de la polychromie de la sculpture moderne.

Dans un contexte de découvertes archéologiques, il participe ainsi au renouveau de la sculpture chryséléphantine initié au milieu du siècle. Toujours selon l’exemple antique, il teinte ses oeuvres en marbre par un mélange de cire et de pigments. Son goût du détail et de la vérité archéologique atteint alors l’illusionnisme et le trompe l’oeil (La joueuse de boules, vers 1902, Caen, Musée des Beaux-Arts ; Sarah Bernhardt, vers 1895, Paris, Musée d’Orsay). Tanagra (1890, Paris, Musée d’Orsay), sa sculpture peinte la plus célèbre, est par ailleurs un bon exemple de son goût pour l’autocitation, qui se prolonge dans un jeu de miroir entre l’oeuvre sculpté et l’oeuvre peint. A la fin de la vie de l’artiste, la figure du sculpteur à l’oeuvre dans son atelier devient même le thème privilégié de nombreux tableaux (Pygmalion et Galatée, 1890, New York, Metropolitan Museum of Art) et d’autoportraits mis en scène de manière obsessionnelle.

Gérôme compte parmi les artistes du XIXe siècle qui se sont le plus préoccupés de la diffusion de leurs oeuvres. La maison Goupil, galerie d’art et maison d’édition, dirigée par Adolphe Goupil dont il devient le gendre, assure ensuite, à partir de 1859, une diffusion massive de son oeuvre par le biais de l’estampe et de la « galerie photographique », dans laquelle il est de loin l’artiste vivant le mieux représenté. Servi par le savoir-faire de cette maison dans le rendu de la polychromie, Gérôme sait habilement adapter sa production à la véritable politique éditoriale que mène son beau-père. Pour créer ses images fortes qui s’inscrivent durablement dans la mémoire du spectateur, il conjugue sujets anecdotiques garants d’un succès populaire, soumission de la couleur au dessin et clarté d’une composition pensée en vue d’une réduction au format de la gravure ou de l’épreuve photographique. La critique ne manque pas de le lui reprocher, Emile Zola écrivant en 1867 : « évidemment, Monsieur Gérôme travaille pour la maison Goupil, il fait un tableau pour que ce tableau soit reproduit par la photographie et la gravure et se vende à des milliers d’exemplaires ».

L’analyse historiographique récente a montré que l’oeuvre de Gérôme, vilipendée par la critique avant-gardiste de son temps, entretient avec la modernité un rapport plus complexe qu’il n’y paraît. Ainsi, par exemple, l’élaboration des images peintes est-elle souvent directement déterminée par la photographie, que Gérôme utilise comme modèle pour mieux servir son désir de faire vrai (Félix Nadar, Modèle pour la Phryné de Jean-Léon Gérôme, vers 1860, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie; Phryné devant l’aréopage, 1861, Hambourg, Kunsthalle).

Cette manifestation se propose donc d'explorer, au-delà de sa séduction immédiate et de son accessibilité, la double identité de l'oeuvre de Gérôme, à la fois savante et populaire, qui la rend aujourd'hui si précieuse aux yeux des historiens d'art et du grand public.

Commissaires :

Laurence des Cars, directrice scientifique de l’Agence France-Museums, Dominique de Font-Réaulx, conservateur en chef au musée du Louvre, Édouard Papet, conservateur en chef au musée d’Orsay.

L'exposition est également présentée à Los Angeles au Getty Museum du 15 juin au 12 septembre 2010 et à Madrid au Museo Thyssen-Bornemisza du 1er mars au 22 mai 2011.



Parcours de l'exposition

Jean-Léon Gérôme fut l’un des peintres français les plus célèbres de son temps. Il fut, durant sa longue carrière, l’objet de polémiques ou de critiques acerbes, notamment pour avoir défendu, contre les générations réalistes et impressionnistes, les codes d’une peinture académique essoufflée. Gérôme fut pour autant moins un héritier qu’un créateur de mondes picturaux inédits, fondés sur une iconographie souvent singulière, qui privilégie le sujet et la narration érudite. Peindre l'histoire, peindre des histoires, tout peindre, fut la grande passion de Gérôme. Il joua en permanence du mélange des valeurs et des genres dans une esthétique du collage et du décalage qui ne cesse d'intriguer. L'habileté à créer des images, à donner l’illusion du vrai par l’artifice et le subterfuge va de pair avec une peinture du fini mais pas de la perfection.

Gérôme, peintre académique bien peu orthodoxe, sut ainsi mettre l’Histoire en spectacle, de l’Antiquité au monde qui lui fut contemporain, et placer, par des images particulièrement efficaces, le spectateur en témoin oculaire. Cette exposition, la première monographie organisée à Paris depuis le décès de l’artiste en 1904, montre l’oeuvre de Gérôme sous tous ses aspects, peintre, dessinateur et sculpteur, du début de sa carrière dans les années 1840 jusqu’aux toutes dernières années et souligne le rapport singulier qu’il entretint avec la photographie. Elle ne vise pas à une réhabilitation de l’artiste, menée au cours des années 1970-1980 par les travaux pionniers du professeur Gerald Ackerman, mais à souligner la modernité paradoxale de celui qui fut longtemps regardé comme réactionnaire.

Créateur d’images, son art a nourri cet art de l’illusion du vrai, de création artificielle de mondes exacts qu’est le cinéma et nombre de ses oeuvres, diffusées par la gravure et la photographie, sont devenues des motifs iconiques de la culture visuelle populaire.

  • Les années de formation

    Jean-Léon Gérôme naît le 11 mai 1824 à Vesoul ; son père est orfèvre et joailler. Il reçoit dans sa ville natale une première formation artistique auprès de Claude Basile Carriage, un ancien élève d’Ingres et de Gros. Se montrant particulièrement doué pour le dessin, Gérôme quitte Vesoul après son baccalauréat, pour entrer à l’automne 1840 dans l’atelier parisien de Paul Delaroche. Ce dernier est alors au faîte de sa gloire, et vient d’achever le décor de l’hémicycle de l’Ecole des beaux-arts. Son atelier, très couru, permet à une génération d’artistes de s’approprier les codes d’une peinture fondée sur la lisibilité du récit et l’expression du sentiment. La fusion de la peinture d’histoire et de la peinture de genre entreprise par Delaroche, fut une leçon capitale pour Gérôme, qu’il ne cessera de poursuivre tout au long de sa carrière. Lorsqu’en 1843, Delaroche, contraint de fermer son atelier, part pour l’Italie, Gérôme choisit de suivre son maître. Cette année stimulante et formatrice pour le jeune homme est celle de ses vrais débuts de peintre : « A 18 ans j’étais donc en Italie. Je ne savais rien, j’avais tout à apprendre. […] J’ai, à ce moment, fait assurément de sérieux progrès ». S’essayant au répertoire du pittoresque italien, si prisé par l’époque, Gérôme explore une manière froide et linéaire, marquée par Ingres et Delaroche. Ces premières oeuvres mettent en place les enjeux stylistiques qui seront ceux du néo-grec.

  • Gérôme portraitiste

    Portraitiste parcimonieux, Gérôme réserve pour l’essentiel l’exercice à son univers familial. On reconnaît ainsi au fil des toiles, son jeune frère, Armand Gérôme, son épouse, Marie Gérôme, fille du marchand et éditeur, Adolphe Goupil, et son père, Pierre Gérôme, associé à son fils Jean, dans une composition où le peintre mêle l’intime à son sens inné de la mise en scène. Ses portraits féminins démarquent ostensiblement les grands modèles fixés par Ingres et certains de ses élèves, comme Hippolyte Flandrin ou Amaury-Duval.

    Dans cet ensemble, les portraits des deux célébrités du monde des arts que furent Rachel et Charles Garnier se détachent avec plus de singularité. Gérôme célèbre la tragédienne la plus renommée de son temps dans un impressionnant portrait posthume, où sa plus pure veine néo-grecque sert avec pertinence son sujet. Celle qui raviva la grande tragédie classique est vêtue du rouge des drames, alors que l’historicisme du tableau renvoie au sens du détail archéologique cher au peintre. Proche de Charles Garnier, Gérôme rend un hommage franc et amical à l’architecte, retenant moins le maître d’oeuvre que l’attachante et originale personnalité du modèle.

  • L'épisode néo-grec

    Le cercle des néo-grecs se créa de manière informelle, regroupant à partir de 1847 rue de Fleurus de jeunes artistes passionnés par une vision nouvelle de la Grèce antique. Cette approche se voulait archéologique, en rupture avec les évocations alors courantes d'une antiquité gréco-romaine approximative. Gérôme évoqua à la fin de sa vie l'atmosphère de ce phalanstère artistique : « c'était le rendez-vous de tous les camarades et il y avait aussi des musiciens. On s'amusait bien et la concorde régnait parmi nous ». Les néo-grecs privilégièrent la représentation érudite de sujets intimistes ou anecdotiques, déclinés entre un archaïsme formel un peu froid et des coloris recherchés qui leur furent rapidement reprochés, d'autant que le mélange du genre à la peinture d'histoire et la précision des accessoires archéologiques déployés complaisamment dévoyaient la tradition classique. Au Salon de 1847, les Jeunes Grecs faisant battre des coqs signent les débuts de Gérôme comme jeune talent prometteur. Il est salué comme un artiste audacieux dans ses choix iconographiques, mais considéré par certains comme un dangereux perturbateur des règles en vigueur. Devant le succès du tableau, Gérôme se voit très vite reconnu comme le chef de file de ce mouvement de courte durée qui joua un rôle important dans le renouvellement pictural des années 1840 et la dilution progressive du genre dans la peinture d'histoire.

  • Phryné

    Autour de 1860, les peintures que Gérôme présente au Salon sont souvent très appréciées du public mais mal reçues par une partie de la critique parisienne. Si Théophile Gautier, depuis les Jeunes Grecs faisant battre des coqs, demeure un fidèle défenseur de l'artiste, Charles Baudelaire, qui reconnaît les efforts de Gérôme à rechercher des sujets neufs, ne lui pardonne cependant pas de substituer « l'amusement d'une page érudite aux jouissances de la pure peinture ».

    Phryné devant l'aréopage cristallise en 1861 les réactions les plus sarcastiques ou les plus violentes et entérine la rupture progressive de Gérôme avec la critique. Certains lui reprochent la réduction grivoise d'un sujet rare, et Émile Zola lui dénie le statut même d'oeuvre : « Non, monsieur, vous n'avez pas fait un tableau. C'est là si vous le voulez, une image habile, un sujet plus ou moins spirituellement traité, une marchandise à la mode ». Plus perfide, Edgar Degas reproche à Gérôme de n'avoir pas compris l'essence même de l'anecdote antique, malgré le luxe de détails archéologiques rassemblés : « Que dire du peintre qui a fait de Phryné une pauvre honteuse qui se cache ? Phryné ne se cachait pas, ne pouvait pas se cacher puisque sa nudité était précisément la cause de sa gloire ; Gérôme n'a pas compris et a fait de ce tableau, par cela même un tableau pornographique ». Phryné constitue une oeuvre charnière dans la carrière de Gérôme : la théâtralité pré-cinématographique de ce « tableau vivant » archéologique dérangea autant les gardiens de la tradition que les apôtres de la peinture moderne. Largement diffusée par la reproduction, elle consacre l'inflexion définitive de la peinture d'histoire telle que Gérôme, inventeur d'images, la conçoit, une narration magistralement scénographiée.

  • Vers l’Orient, la mission de 1855-1856 avec Auguste Bartholdi

    Missionnés par le Ministère de l’Instruction publique afin de réunir des éléments « pour l’étude des antiquités de ces différents pays [Egypte, Nubie, Palestine] et la reproduction photographique des principaux monuments et des types les plus remarquables des races diverses », Jean-Léon Gérôme et le tout jeune Auguste Bartholdi s’embarquèrent pour Alexandrie le 8 novembre 1855.

    Ce fut très certainement Gérôme qui entraîna le jeune Bartholdi vers l’Egypte. On ne sait pas comment ce dernier se forma à la photographie ; il semble qu’il la pratiquait déjà à l’été 1854. Il réalisa, en Egypte et au Yémen, plus d’une centaine d’épreuves. Le contexte créé par la publication, en 1852, par Blanquart-Evrard, des photographies prises par Maxime du Camp en 1849 lors de son voyage en Egypte, Palestine et Syrie en compagnie de Gustave Flaubert, avait certainement joué un rôle essentiel dans la mission donnée à Gérôme et Bartholdi.

    Elle avait sans doute des contours assez lâches ; au vu des photographies prises par Bartholdi, les deux artistes se soucièrent assez peu de reproduire les monuments insignes de l’Egypte – les colosses de Memnon mis à part. C’était alors pour l’un et l’autre leur premier voyage en Orient et l’ensemble de leur périple fut marqué par le plaisir et les vertiges de la découverte.

    L’influence des photographies de Bartholdi sur Gérôme fut déterminante ; moins par une précision des détails qu’elles n’offraient qu’imparfaitement – l’usage du négatif papier valorisait les compositions d’ensemble, les jeux de lumière – que par les nouveaux espaces scéniques ainsi suggérés. L’effet panoramique donné par Bartholdi à ses vues de l’île d’Eléphantine et de Louksor donna à ses photographies de la plaine d’Egypte une ampleur théâtrale que Gérôme sut reprendre ensuite en composant ses tableaux, Le Prisonnier et La Promenade du harem.

  • Les Orients de Gérôme

    Gérôme accomplit, à partir de 1855, de nombreux voyages vers l’est de la Méditerranée, cet ailleurs proche qui, au milieu du XIXe siècle, commençait dès la Grèce. Le peintre en fit le sujet de nombreuses de ses oeuvres.

    Ses représentations orientales sont tout à fait singulières ; sous couvert de l’exactitude que lui conférait sa manière précise, renforcée par son recours non dissimulé à la photographie, témoin de ses voyages, Gérôme inventa des scènes orientales qui puisaient à l’imaginaire pictural et littéraire de son temps. L’Orient que peignit Gérôme était celui rêvé dès 1829 par Victor Hugo, dans les Orientales. Ses images « vraies » de l’Orient de son temps demeuraient fidèles à une vison orientaliste, où se mêlaient sensualité et violence. Un critique de 1863 décrivit ainsi la sinistre excursion sur le Nil du Prisonnier : « Tout l’Orient est là, avec son fatalisme implacable, sa soumission passive, sa tranquillité inaltérable, ses insultes éhontées et sa cruauté sans remords ».

    Les images « exactes » de Gérôme paraissaient d’autant plus vraies qu’elles semblaient recréer sans faille l’Orient attendu par ses contemporains. Elles apportaient au fantasme l’estampille de l’authenticité. Il prit pourtant bien des libertés et peu de ses oeuvres sont le fruit d’une observation directe. La plupart de ses toiles ne résistent guère à une analyse précise des scènes représentées au regard du contexte historique, géographique ou ethnographique dont elles se réclament.

    Gérôme sut peindre de l’Orient une image immuable, intacte, offerte aux regards des spectateurs occidentaux. Il parvint ainsi à séduire un public ravi d’observer les représentations figées d’un ailleurs inchangé.

    Lors de son troisième voyage en Orient en 1868, Gérôme fut notamment accompagné par son beau-frère, Albert Goupil. L’expédition de 1868 poursuivait avant tout un objectif esthétique ; Paul Lenoir, élève de Gérôme qui les accompagnait, écrivit ainsi dans son journal : « Rencontrer des motifs de tableaux et les peindre, tel fut notre but en partant en Égypte ». Les petites esquisses peintes par Gérôme comme les photographies de Goupil forment un ensemble de notes sensibles de ce voyage. Les paysages photographiés par Goupil, dont le peintre était très proche et qui partageait sa passion pour l’Orient, ont certainement été choisis par Gérôme lui-même. En effet, le peintre et son beau-frère, photographe amateur, ont reproduit les mêmes lieux, suivant des points de vue semblables.

    A nouveau, comme ce fut le cas en 1856, pour les photographies prises par Auguste Bartholdi, Gérôme ne garda de ces représentations peintes ou photographiées que les effets d’ensemble, la composition et la lumière. Amoureux des déserts qu’il traversa, il écrivit ainsi quelques années plus tard : « Rien de plus agréable et de plus poétique que ces campements dans la solitude, ajoutez l’attrait de l’inconnu, le charme de la solitude. » Il se nourrit ensuite de ses souvenirs – mémoire, esquisses et photographies – pour concevoir des images d’autant plus mystificatrices qu’elles semblaient exactes à ses contemporains.

  • Peindre l’Histoire

    Élève de Delaroche, Gérôme poursuit et amplifie la conception de la peinture d’histoire développée avec succès par son maître. Chez les deux artistes, les emprunts à la peinture de genre assouplissent des codes de représentations fondés sur l’exemple et la vertu, que David avait portés à des sommets. Au principe d’édification que l’histoire peinte se devait d’imposer, le XIXe siècle substitua celui de la narration. Contemporaine du développement du roman historique, la peinture de Gérôme raconte l’Histoire. En préférant l’anecdote au grand sujet, et en construisant ses toiles comme autant d’images arrêtées dans le récit du passé, Gérôme se fait le champion d’une peinture d’histoire toujours plus accessible au public grandissant du Salon et des galeries. L’équilibre singulier que Gérôme ménage entre l’illusionnisme documentaire et la recomposition d’imagination lui permet d’aborder toutes les époques par un angle ou un sujet aussi inédit que possible, qu’il soit question d’Antiquité romaine, du Grand Siècle ou de la légende impériale. Son originalité tient aussi à sa capacité à dramatiser ses représentations en retenant la suggestion narrative de l’instant d’avant ou d’après l’action. Cette approche singulière du récit connaît ses développements les plus forts avec La Mort de César, L’Exécution du Maréchal Ney ou La Crucifixion. Passionné d’archéologie et soucieux de véracité historique, le peintre documente ses oeuvres avec exigence et les nourrit de détails justes. Pour autant, toutes ces compositions malmènent le plus souvent la vraisemblance au profit de l’illusion. En soumettant l’évocation du passé à son remarquable talent scénographique, Gérôme se fait pleinement créateur d’images.

  • Conter l’Histoire

    A côté des sujets traitant de l’antiquité romaine, les toiles que Gérôme consacra au XVIIe siècle et à l’épopée impériale représentent l’autre versant iconographique de sa peinture d’histoire. Pour cette part nationale et moderne de son oeuvre, plus familière et plus accessible au public de son temps, le peintre accentua un sens du récit fondé sur la pure anecdote. A l’exception notable de L’exécution du Maréchal Ney, dont le tragique cru et factuel fait de l’oeuvre le pendant réaliste et contemporain de la Mort de César, Gérôme conte l’histoire sur un ton romanesque. Le peintre, familier de la vie de cour des Tuileries et de Compiègne, se plait à mettre en scène une comédie du pouvoir, scandée par les exceptions à l’étiquette racontées par Louis XIV et Molière et La Réception du Grand Condé à Versailles, ou l’apparition de favoris redoutés traitée dans L’Éminence grise. Mettant son sens de la composition au service de l’évocation, toujours scrupuleuse, des décors et des costumes du Grand Siècle, Gérôme livre quelques unes de ses oeuvres les plus populaires. Délaissant définitivement les ambitions du grand genre, Gérôme choisit de faire de la petite histoire un grand spectacle que le cinéma saura reprendre à son compte.

  • Dans l’atelier

    Gérôme fut un peintre d’atelier. C’est là qu’il inventa et composa des images picturales, nourries par sa mémoire mais surtout par un imaginaire pétri de culture picturale, littéraire et théâtrale. L’artiste était collectionneur, d’objets orientaux, notamment, sans doute acquis au cours de ses voyages. Les témoignages décrivent l’atelier du boulevard de Clichy tendu de grands tapis, rapportés d’Orient.

    Lieu de création, l’atelier devint, après 1878 et l’invention du peintre en sculpteur, le sujet de ses oeuvres, parfois subtilement – ainsi les objets suspendus aux murs des décors orientaux de ses toiles reprenaient l’accrochage de l’atelier – puis de manière plus littérale. La fascination de Gérôme pour le geste du sculpteur, pour sa maîtrise de la matière et sa capacité à lui donner forme le tournèrent vers le mythe de Pygmalion insufflant la vie à Galathée. Il se représenta ainsi lui-même en sculpteur, jouant, dans La Fin de la séance de la redondance de la présence du modèle de chair et de la statue en train de s’ébaucher. Ses représentations mêlèrent étroitement les références au mythe antique avec la réalité contingente de l’atelier.

    On ne sait pas à quel moment il conçut l’idée de léguer à la Bibliothèque nationale la reproduction photographique de l’ensemble de ses oeuvres. « Je tiens à avoir une collection de mes oeuvres aussi complète que possible, vu que je l’ai donnée par testament à la Bibliothèque Nationale », écrivit-il ainsi à un collectionneur. Gérôme fit réaliser un ensemble de très belles photographies, de grandes dimensions, représentant ses oeuvres sculptées dans l’atelier. Il se fit aussi photographier avec certaines d’entre elles ; son portrait avec le plâtre de l’Omphale et son modèle semble ainsi composer une variation photographique de ses propres tableaux.

  • Gérôme sculpteur : "Le Père polychrome"

    Gérôme fut très tôt intéressé par les trois dimensions, mais il vint tard à la sculpture, à cinquante-quatre ans, fortune faite, avec le sérieux et la ferveur d'un jeune artiste. Lié très tôt avec des sculpteurs de renom (Bartholdi, Fremiet), il présente en 1878 les Gladiateurs, sa première sculpture, monument « archéologique » sans concessions, qui reprend le motif du groupe central de Pollice verso. Cette première étape d'un jeu de miroirs continuel entre peinture et sculpture jusqu'à la fin de sa carrière est inscrite dans l'esthétique du réalisme académique alors dominant et se cantonne à la monochromie d'un matériau noble de la sculpture, le bronze. C'est à partir de 1890, avec Tanagra, que Gérôme opère un bouleversement radical de son travail vers le véritable enjeu de son oeuvre sculpté, la polychromie. La couleur appliquée à la sculpture moderne, imitée de la polychromie des sculptures antiques, avait suscité de vifs débats au cours de la première moitié du XIXe siècle : Gérôme, curieux infatigable, y vit la possibilité de renouveler la discipline. C'est dans la peinture des marbres qu'il donna sa pleine mesure, utilisant une peinture à la cire pigmentée qu'il pensait être proche de l'antique. Les saisissants simulacres illusionnistes de Gérôme brouillent ainsi la frontière entre polychromie populaire et savante et posent sans détours dès le début du XXe siècle la question des limites de la représentation. Cette pratique audacieuse et décomplexée de la couleur, l'érotisme assumé de ces marbres peints valurent aux « idoles » modernes de Gérôme des critiques virulentes. À la fin des années 1890, il se consacre de plus en plus à la sculpture, présentant par ailleurs régulièrement des statuettes destinées à l'édition (Bonaparte entrant au Caire, Tamerlan). C'est à une sculpture que Gérôme travaillait au moment de son décès, la plus spectaculaire, Corinthe, son testament artistique.

  • Les enjeux de la diffusion

    Dès 1859, Gérôme se lia avec l’un des plus grands marchands de son temps, Adolphe Goupil, dont il épousa en 1863 l’une des filles, Marie. Goupil était aussi l’un des fondateurs de la maison d’édition d’art qui porte son nom. Son génie propre fut d’avoir associé dès 1846 le commerce des reproductions d’oeuvres d’art, alors en plein essor, à celui des peintures originales. Delaroche, le maître de Gérôme, fut un des premiers artistes pour qui le système de la reproduction généralisée, gravée puis photographiée, se mit en place. Gérôme sut ensuite pleinement en tirer parti.

    Grâce à ce système, les images des oeuvres exposées fugitivement au Salon se multipliaient en masse et circulaient de plus en plus vite dans le monde entier, touchant de nouveaux publics. Ce commerce des reproductions permettait de redoubler la notoriété des artistes, en même temps qu’il générait des profits considérables.

    Il eut aussi de très importants retentissements esthétiques. La diffusion des reproductions des oeuvres peintes par la gravure et la photographie modifia aussi le statut de la représentation. Le sujet se transforma en image, dont le succès était d’autant plus grand que les ressauts de sa narration étaient clairs, soulignés, mis en exergue.

    Comme l’épingla ironiquement Emile Zola, « évidemment, Monsieur Gérôme travaille pour la maison Goupil, il fait un tableau pour que ce tableau soit reproduit par la photographie et la gravure et se vende à des milliers d’exemplaires ». En effet, il arriva souvent que l’artiste reprit ou copia certaines de ses toiles pour en faciliter la reproduction.

    Grâce à leur diffusion, certaines d’entre elles devinrent des images mondialement connues, appartenant à l’imaginaire populaire, alors que, comme La Sortie du bal masqué, les originaux peints demeuraient conservés dans des collections particulières.

  • La modernité paradoxale de Gérôme, son influence durable sur la création cinématographique

    Gérôme aura joué en permanence du mélange des valeurs et des genres ; cette esthétique du collage et du décalage, en équilibre instable sur les frontières floues du goût et du kitsch, n’est pas sans intriguer le regard contemporain. Distantes par leur attachement au métier académique, bien de ses oeuvres semblent toujours pourtant liées à un imaginaire scénique familier.

    Il y a en effet, chez Gérôme, bien que souvent perçu comme un artiste réactionnaire, une modernité paradoxale qui tient à l’originalité de son regard, à son habileté, tout à la fois rehaussée et dissimulée par son métier académique, à créer des images, à donner l’illusion du vrai par l’artifice et le subterfuge. Son art a nourri cet art de l’illusion du vrai, de création artificielle de mondes exacts qu’est le cinéma. C’est là qu’il trouve sa descendance esthétique. Les metteurs en scène furent, dès le tout début du XXème siècle, sensibles à l’efficacité de la mise en scène du peintre, à sa capacité de faire tenir en un seul « plan » l’ensemble d’une composition narrative, jouant sur la durée de l’action – le choix habile de « l’instant d’après » dans la plupart de ses sujets historiques, de la Mort de César à L’Exécution du Maréchal Ney – mais aussi sur l’attention méticuleuse aux détails vrais de l’accessoire. Ses toiles où la peinture d’histoire s’épuise surent faire naître les plans fixes du nouvel art cinématographique. D’Enrico Guazzoni (1913) à Mervyn LeRoy (1951) ou aujourd’hui Ridley Scott, les metteurs en scène se nourrirent de l’histoire mise en spectacle par Gérôme.



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