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Gilbert & Georges
"Jack Freak Pictures"

Palais des Beaux-Arts, Bruxelles

Exposition du 28.10.2010 > 30.01.2011


Gilbert et George se sont rencontrés en 1967, en étudiant la sculpture à la St Martins School of Art de Londres.

gilbert and george
Gilbert & George

Reconnus dès les années 70 pour l’ivresse de leurs performances, Gilbert et George défraient la chronique en costume d'hommes d'affaires, leur uniforme excentrique. Le couple est surtout célèbre pour ses photomontages monumentaux, tramés de noir, saturés de couleurs vives et assemblés à la manière de vitraux. Après les Musées d’Art contemporain de Chicago, Paris, Pékin et le Guggenheim de New York, la Tate Modern de Londres leur a consacré une importante rétrospective en 2007.

À l’automne 2010, Gilbert & Georges présenteront au Palais des Beaux-Arts l’ensemble de leur série "Jack Freak Pictures". Après leur participation à la Biennale de Venise en 2005 et leur grande rétrospective à la Tate Modern en 2007, ils se sont une année durant installés dans un studio pour réaliser une nouvelle série de 153 oeuvres d’art, les "Jack Freak Pictures". Les Jack Freak Pictures abordent des thèmes qu’ils explorent à travers leur oeuvre depuis plus de 40 ans : la vie en milieu urbain, les conflits raciaux, la sexualité, la religion, la mort, l’espoir, la vie, la peur.

Les Jack Freak Pictures reprennent, assortis dans des canevas géométriques abstraits, différents motifs récurrents tels que des plans et des panneaux de Londres-Est, des médailles, des murs de brique, et bien entendu les deux artistes eux-mêmes (vêtus de costumes bariolés et constitués de membres ayant subi une mutation).

Néanmoins, l’élément pictural prédominant est sans nul doute l’Union Jack, lui-même à la fois un motif géométrique connu dans le monde entier, et un symbole politiquement chargé, dont la portée englobe un spectre culturel allant de la mode contemporaine aux épanchements agités de la fierté nationale.

gilbert and george
Gilbert & George

La clarté de leur vision et la puissante émotion que Gilbert & George développent à travers leur langage visuel unique s’exprime de manière plus intense que jamais avec cette fantastique nouvelle série d’images, dont plus de 85 seront présentées au Palais des Beaux-Arts.

L’exposition des Jack Freak Pictures est réalisée en partenariat avec le British Council, l’Ambassade de Grande-Bretagne. Après le Palais des Beaux-Arts, cette exposition rejoindra successivement Hambourg (Deichtorhallen), Linz (Lentos Kunstmuseum) et Gdansk (Laznia Centre for Contemporary Art).



Jack Freak Pictures

Le fil rouge de Jack Freak Pictures est l’Union Jack, comme en témoigne l'omniprésence – historique et symbolique - du drapeau britannique dans cette exposition, qui sert de trait d’union entre les créations. Dépassant les icônes et l'absurde, Gilbert & George donnent libre cours à la propre rhétorique de cet emblème, prétexte pour le duo d'artistes à l’utilisation de motifs géométriques et abstraits dans les tons rouges, bleus et blancs principalement.

Dans ces photomontages, riches en atmosphères et émotions, les éléments picturaux sont moindres et laissent la place aux médailles, amulettes, arbres, et feuillages. On encore à un plan de l'East London, à des briques, à l’Union Jack, à la rue ou aux artistes eux-mêmes. La nature se voit attribuer un sens quasi magique et une valeur emblématique. Le corps humain et le visage (les yeux et les doigts surtout) ont « muté », pour se transformer en prophètes, totems, monstres et autres présences non-humaines (Hecatomb, Homey, Brits, etc.). Les artistes eux-mêmes y apparaissent vêtus de vêtements multicolores et à motifs qui font penser aux costumes d’acteurs et de comédiens des revues de variété (Metalepsy, Street Party, Jesus Suits, etc.). Ils se transforment également en « porte-drapeaux » inspirés par les motifs de l’Union Jack (Metaljack, Bleeding Medals, Frigidarium...) ou encore en danseurs – évoquant des robots ou des marionnettes, perdus dans une sorte de transe et absorbés par le support pictural, avant de se muer en sculptures vivantes (Harvest Dance, Cancan, Stuff Religion, etc.)

D’un point de vue formel, leurs gigantesques photomontages font songer à de grands vitraux ou à des kaléidoscopes géants où dominent les motifs géométriques et les couleurs pures, mates et vives. Ces structures fragmentées sont le point de départ de nombreux points de vue sans pour autant en faire une juxtaposition d'anecdotes purement visuelles. La frontalité des compositions attire sans détours le regard, ce qui renforce davantage encore leurs qualités cérémoniales comme ornementales. Autant de caractéristiques au service d'un objectif : « entrer dans la personne, vouloir réussir et vouloir avoir raison », comme ils l'expliquent eux-mêmes ; d’où leur volonté de s’introduire dans l’âme du visiteur pour que les photos soient à jamais gravées dans son esprit.

Les photos de l’exposition ont toutes été créées en 2008, à l’aide de différents médias.



Michael Bracewell : "Gilbert & George - Les Jack Freak Pictures, 2008"

"Londres – cathédrale des os noirs… où les rues scintillent, à contrecoeur, telles des pièces anciennes et où, fort martelé, le corps s’affaisse..." Nigel Henderson

Epiques et résolues, crépusculaires, criardes, sinistres, frénétiques et impertinentes; un tourbillon grouillant de formes, d’images, de détails et de couleurs, emplies toutefois d’un calme profond et mystérieux, les Jack Freak Pictures regroupent les plus grandes compositions que Gilbert & George n’aient jamais créées. Il s’agit d’une représentation monumentale d’oeuvres, à la fois épisodiques par thèmes, confluant en motif et caractère, et densément teintées d’émotions.

Toutefois, un élément pictural, l’ensemble rouge, blanc et bleu de l’Union Jack – le drapeau britannique (lui-même une forme abstraite et géométrique) – semble dominer ce groupe vif et troublant. Strident, et même jovial, ce symbole reconnu internationalement dans toutes ses connotations, allant de la fierté et l’apparat national à la décontraction pop culturelle et la désobéissance civile, résonne dans une myriade de fréquences sociales et culturelles. Sa présence historique et symbolique sert à la fois de coeur et de colonne vertébrale aux Jack Freak Pictures, tantôt déclamatoires et iconiques, tantôt ambiguës et absurdes.

Au cours des cinq dernières décennies, les courants insaisissables de la sous-culture ont emprunté l’Union Jack pour exprimer tant une certaine mode contemporaine que le nationalisme moderne agressif; un motif iconique, dénué de sens de par son usage multiple mais empreint d’un investissement émotionnel exalté. On le voit comme un symbole de loi et d’anarchie, d’exultation et de menace; à la fois désapprouvé par les libéraux outragés par des notions de patriotisme traditionnel, et acclamé par les populistes comme l’emblème de ralliement à la fierté nationale. Gilbert & George ne donnent aucune de ces interprétations, mais laissent au motif sa propre rhétorique (ou son propre silence), étant donné qu’il devient dans ces images omniprésent et imprégné d’ambiguïté – le plumage cérémonial d’une foule moderne, ou l’emblème éternel d’identité nationale, grâce auquel un individu peut communier davantage avec sa raison d’être et son identité.

Dans ce sens-là, on pourrait y voir un sentiment de mélancolie, ainsi qu’une raison d’être qui peut devenir une parodie et même conduire à un esprit belligérant pompier – « Allezy si vous le pouvez », a écrit W.H. Auden en 1936, « et regardez la terre que vous étiez un jour fier de posséder ». « Jack Freak », au sens étymologique pictural décrit dans cet ensemble de photomontages, pourrait en fin de compte désigner l’expérience contrariée et vertigineuse de l’homme moderne, où l’identité nationale et l’identité personnelle reflètent au même moment et mutuellement leurs multiples facettes, et un pantomime folklorique urbain des passions et des intentions : la gifle en pleine figure d’un avenir instable et intégriste.

Comme toutes les oeuvres d’art que Gilbert & George ont créées depuis leur première rencontre, à Londres en 1967, ces Jack Freak Pictures donnent vie au monde moderne, où Gilbert et George eux-mêmes sont à la fois artiste et art : les créateurs et habitants d’une cosmologie vaste, sauvage, où une panoplie de signes, formes, scènes, textes, mots et attitudes décrivent les valeurs les plus profondes et fondamentales de l’existence humaine – toutes présentes dans les rues de n’importe quelle ville du monde, tirées de la langue commune de la vie quotidienne.

Dans la succession de scènes, d’humeurs, d’événements et de sentiments densément superposés et nuancés que ces Jack Freak Pictures décrivent, nous retrouvons l’envergure d’un grand roman de vie contemporaine, dans toutes ses traditions bien établies, toute sa vigueur sociale, tout son conformisme religieux et civil. Pourtant, ces valeurs – nous pourrions les regrouper comme étant les valeurs de l’identité nationale – Gilbert & George les présentent, et elles prennent leur forme et leur sens dans le monde intérieur, spirituel, complexe et instinctif des sentiments et des émotions d’une personne. Cette exploration du monde humain intérieur – un panorama étrange, fervent, psychique – a toujours été essentielle dans l’art de Gilbert & George. En effet, toute leur ambition et tout leur succès artistique ont consisté à décrire l’expérience intense et universelle de la vie dans le monde moderne – à la fois l’expérience qui se fluidifie entre les conventions idéologiques et financières de la société et ce monde parallèle mais tout autant réel de l’esprit humain, dans tous ses espoirs, désirs et turbulences intérieures.

Au fil de leur art, Gilbert & George ont identifié la constitution holistique « d’identité nationale » – étant donné que la notion de pays ne peut pas simplement façonner une personne ou une société, mais qu’une personne peut se considérer comme étant un état, jouissant de ses propres lois, de sa propre fierté et de sa propre histoire. Nous retrouvons donc dans le monde mystérieux à plusieurs niveaux des Jack Freak Pictures un appel direct aux valeurs de l’identité individuelle et sociale. L’utilisation de médailles dans ce groupe de photos – certaines d’entre elles ont été gravées pour des gens en particulier, d’autres sont génériques et anonymes – semble à chaque fois amener un moment de fierté de vivre. Des médailles de danse, de course, de natation ou de gymnastique, dont beaucoup ont été gravées ou présentées au début du siècle dernier, semblent chacune raconter une histoire – être leur propre nouvelle dans la vaste histoire des Jack Freak Pictures. Les mots et les scènes que de nombreuses médailles décrivent possèdent leur propre poésie visuelle ou textuelle, les rendant d’autant plus raffinés et mémorables car ils semblent avoir utilisé un moyen qui peut être pris pour humble, ou marginal, mais qui est emblématique d’un sentiment intense ou noble.

Dans Street Party par exemple, nous voyons Gilbert & George debout, dans la même position (chacun la main droite posée sur la poitrine) à l’intersection de rues, dans une ville qui semble décorée du motif d’un vaste Union Jack. La scène est flanquée de huit médailles de couleur or, chacune décrivant un sport différent – boxeurs et gymnastes, coureurs et éclaireurs. Ils évoquent au spectateur contemporain un monde plus ancien – un monde de formalisme, et d’idéaux masculins solides datant de la fin de l’époque victorienne, d’idéaux de santé, de force, d’esprit sportif et de fierté d’avoir réussi. Dans Dating, nous voyons des médailles de chant, de « présence », de cricket, de gymnastique, et même de « pantomime » (décernée à Maître Alec French, pour l’année 1884 – 1885). Dans cet étalage de médailles, posées sur ce qui semble être un lit luxuriant de satin froissé (encore une fois aux couleurs de l’Union Jack), nous voyons Gilbert & George transformés en têtes et torses gonflés d’intenses robots cyclopéens – les bords de leurs corps semblent avoir été découpés à la machine, et leurs formes sont rouges, blanches et bleues.

Cet entrechoc de formes très ornées et archaïques crée une impression troublante de cérémonie; leurs noms et titres sont moralement codés et elles sont fièrement représentées par des sentinelles futuristes au regard sinistre et intense. Les représentations monstrueuses de Gilbert & George possèdent leur propre formalité méconnaissable (leurs mains dans des postures apparemment symboliques, par exemple), alors que les médailles qui les entourent ont le même langage pictural et la même composition que les amulettes et charmes que les artistes ont utilisés dans leurs photos Sonofagod de 2006. Cela donne une image à la fois ancienne et moderne – autant évocatrice de l’esthétique et des sentiments d’un dix-neuvième siècle qui subsiste, que remplie d’une présence inhumaine et prémonitoire.

Dans Hecatomb, nous voyons Gilbert & George photographiés dans leur représentation figurative « normale », debout à gauche et à droite de leur double transformé et de six médailles extravagantes. Ici, les artistes semblent être davantage des témoins ou des prophètes – il convient de rappeler au spectateur comment les artistes se sont représentés dans des images plus anciennes, intensément urbaines, telles que The Dirty Words Pictures de 1977, ou les Nine Dark Pictures de 2002. Ils ont l’air concentrés mais toutefois impassibles, observateurs de la condition humaine. Il se dégage une intense émotion, que l’on retrouve dans l’art de Gilbert & George (dans l’utilisation de publicités personnelles, dans les New Horny Pictures de 2001 par exemple), où l’identité et le nom d’étrangers revêtent un caractère poignant qui évoque le temps qui passe, la grande démocratie et la mortalité.

L’échelle pure des Jack Freak Pictures, et la singularité des éléments et motifs picturaux qui les composent ont permis à Gilbert & George d’animer une vision de l’expérience humaine qui peut se voir comme une vaste oeuvre, composée d’une multiplicité de photos séparées. Dans leurs compositions plus anciennes, sans parler de leur film The World of Gilbert & George (1981), Gilbert & George ont identifié le rôle de l’identité nationale dans leur vision du monde moderne, et dans cette relation historique et diachronique entre l’état et la religion, comme l’un des principes fondateurs de l’organisation sociale. Et dans cette observation, que ce nouveau groupe de photos reflète avec tant de force et d’éloquence, Gilbert & George ont décrit les ambiguïtés de l’identité nationale et de la fierté : la mince frontière entre conformisme et patriotisme, conditionnement social, par exemple; et l’appropriation d’emblèmes d’identité et de fierté nationales comme un insigne honorifique agressif, dénotant un intégrisme conflictuel.

Mais cette chimie de l’image, que Gilbert & George ont été les premiers à intégrer dans leur art, et maintenant amenée à un nouvel état synthétique, se base aussi sur la reconnaissance de notre lecture (et fausse lecture) historique de signes et d’images picturaux ou textuels. Dans leurs compositions artistiques, Gilbert & George incarnent et surveillent tous deux la traduction constante et intemporelle des valeurs et sentiments individuels, de l’Innocence à l’Expérience – de la vulnérabilité humaine à leur propre représentation (comme dans Gold Jack (2008), par exemple, ou Up The Wall (2008), pour n’en citer que deux) – monstrueusement inhumains, tels des robots ou des marionnettes, absorbés dans la surface picturale même de leur art, pour être transformés en signalisation semi-humaine, des sculptures à jamais vivantes.

Les Jack Freak Pictures sont parmi les oeuvres les plus iconiques, philosophiquement intelligentes et visuellement violentes que Gilbert & George n’aient jamais créées, arrivant à un équilibre méticuleux entre complexité picturale éblouissante et utilisation particulièrement affûtée de quelques éléments comparatifs séparés. Dans cet ensemble massif d’images, dans toute leur évocation somptueuse d’atmosphère et d’émotion, aux motifs denses, complexes, les éléments picturaux principaux ne sont qu’au nombre de quelques-uns : médailles et amulettes, arbres et feuillage, plan des rues de l’est de Londres, briques, motif du drapeau de l’Union Jack, rues urbaines, et Gilbert & George eux-mêmes.

De cet ensemble d’éléments rigoureusement raffinés, Gilbert & George ont ensuite créé, dans le cadre des Jack Freak Pictures, un groupe de motifs tout aussi forts et maîtrisés: l’Union Jack (comme dans Horn Jack, GB, De Brit, et Jacksie; les cercles (comme dans Britishers, Briticism, Britainers et British Isles); le motif rosacé (comme dans Sap, Hide, Astrol, et Abode); l’arbre dépouillé (comme dans Fuck Ya All, Lantern Bugs, et Hoar); et enfin ce que l’on pourrait appeler « le regard », où nous voyons les yeux de Gilbert & George, la plupart du temps transformés en une forme anormalement grande et limpide, fixant intensément, avec peur, méfiance ou vide – tel que reflété de façon si inquiétante dans Sunni, School Playground et Celestial Equator.

A partir de ces éléments et motifs, Gilbert & George ont créé des intersections et des relations infinies – ce qui confère aux Jack Freak Pictures une immensité, une profondeur et une complexité, tout en gardant une impression unique et singulière d’humeur et d’atmosphère. A cet égard, les Jack Freak Pictures constituent leur propre monde, avec leur propre climat émotionnel, où les artistes décrivent la nature dans ce que l’on pourrait prendre pour des modèles et des thèmes qui se multiplient à l’infini.

En conséquence, les Jack Freak Pictures représentent l’ensemble d’oeuvres le plus ambitieux que Gilbert & George aient créé – à la fois en termes de sujet et de composition. Elles montrent aussi un raffinement esthétique et une discipline artistique dignes d’un morceau de bravoure. Gilbert & George se matérialisent dans ces oeuvres sous des formes tout aussi intenses : en tant qu’eux-mêmes, où leur visage et leur corps sont représentés de manière figurative (comme dans Hecatomb, par exemple); en monstres (We Swear, Floreat, Jesus Jack); en costume à motifs criards, rappelant ceux portés par les artistes de variétés et les comédiens (Down Among The Dustbins, Jeepers Creepers); en « hommes-drapeaux », où les artistes apparaissent littéralement constitués de l’Union Jack (Frigidarium, Bleeding Medals, Metal Jack); semi-arborescents (comme dans les grotesques Prize ou Shapla); et enfin – mais essentiel pour cette série photographique – en danseurs.

Lorsque ces éléments, motifs et avatars picturaux des artistes se rejoignent – comme liquéfiés, dans une chimie en mutation constante, mêlée et subdivisée – et arrivent à leur forme la plus condensée et violente (comme dans Headstars, Platanus ou Tek Yol), les photos acquièrent une qualité presque abstraite, parcourues de nervures délicates, pareilles à de la dentelle – comme si les formes mutantes s’étaient pétrifiées. Gilbert & George, changeant de forme dans le monde et matérialisés dans leur art, apparaissent et réapparaissent sous différents aspects et formes, allant de l’impénétrabilité sombre, humaine à des entités multiples, aux membres horribles et aux traits monstrueux – en partie de science-fiction, en partie supranaturels.

Alors que le monde décrit et évoqué dans leur art est fermement ancré dans la réalité moderne et sans compromis, Gilbert & George sont des artistes visionnaires dans la lignée de William Blake. Le paysage est tantôt réel, tantôt spirituel et allégorique : un état moral de la nature, et aussi un diagnostic moral de la personne dans la société, le parcours de cette personne – le parcours de son âme – au travers des expériences communes à la condition humaine. En cela, de simples actions et des situations communes peuvent prendre et prennent plus de sens et de dimension spirituelle. Parallèlement, la nature atteint un niveau chargé d’une signification presque magique, comme un emblème.

L’une des Jack Freak Pictures, intitulée It Shall Be Written, est empreinte d’un tel mystère. Gilbert & George sont dans de l’herbe d’un vert très vif, en costume aux couleurs primaires (celui de George est jaune, celui de Gilbert rouge), ornés de graffitis et de tags : « Caliper Boy », « I NEED A RIOT », « God ». Tous deux regardent pardessus leur épaule, comme s’ils regardaient le spectateur; George établit un contact visuel, tandis que Gilbert détourne légèrement son regard. Il semble marcher maladroitement dans les feuilles vert vif d’un massif d’arbustes; comme si les artistes pouvaient percer une membrane qui sépare différents mondes ou existences. D’autre part, on pourrait aussi croire qu’ils se cachent tout simplement, car ils se livrent à une activité clandestine. La photo – conformément à la solennité légaliste ou biblique de son titre – semble teintée d’un avertissement ou d’une prophétie, mais reste aussi muette. Cette photo trouve peut-être son pendant urbain dans Up The Wall, où des formes fortement stylisées de Gilbert & George (leur corps et leur visage n’ont plus de traits et semblent être de bois), en costume aux couleurs de l’Union Jack, semblent essayer d’escalader un haut mur de briques, signé d’un tag, et sont réfléchies sur une colonne centrale d’Union Jacks en forme de briques qui passe juste au-dessus de la tête des artistes. A nouveau Gilbert & George sont représentés en train de grimper maladroitement, un pied en l’air.

Les Jack Freak Pictures regorgent de répétitions et variations semblables, d’éléments et de motifs picturaux. Et nous voyons donc Gilbert & George dans Cancan, Stuff Religion et Hecatomb (pour n’en citer que trois) dans des positions similaires; ces dernières images font référence au plan des rues de Londres aux couleurs de l’Union Jack, et comme nous le verrons, à la séquence « dansante » de photos de cet ensemble. Gilbert & George se représentent donc comme des mannequins, singeant des gestes, et comme des porteurs de sens – tel que dans Stuff Religion, où leur pose, et les halos aux motifs de l’Union Jack qui entourent leur tête, deviennent une sorte de satire de music hall cosmique des religions organisées.

Comme Malcolm Yorke l’a dit de Blake, en référence aux Annotations to Wordsworth de Blake, « La nature pour Blake était un symbole ou n’était rien » – une phrase qui résonne aussi dans l’art de Gilbert & George. Yorke fait aussi allusion aux représentations du corps humain et aux expressions humaines chez Blake, et à comment les silhouettes décrivent – presque en mimant – des états d’être exagérés : « … Blake a adopté un langage hautement stylisé de gestes et d’expressions du visage et l’a lentement élargi pour y inclure tout le corps, lorsqu’il a entrelacé ses formes ou les a projetées dans tous les sens dans les pages de ses livres, surjouant leur extase et leur angoisse. »

Dans les Jack Freak Pictures, nous voyons Gilbert & George se représenter de manière fortement stylisée dans leurs oeuvres – surtout, fait ironique, lorsqu’ils se montrent dans un état inchangé, figuratif. Leur impassibilité – leurs expressions de « normalité » monotone, moderne – revêt une intensité et une impénétrabilité qui expriment un état intense et pompeux : l’âme dans les limbes, peut-être, ou prise dans un mouvement immuable, dont la définition ne serait ni plus ni moins que la mortalité. Depuis le tout début de leur collaboration, Gilbert & George – que l’on a souvent pris pour les artistes les plus urbains et séculiers – ont sans cesse travaillé l’image à partir de la nature et de la religion. Certains de leurs premiers dessins et sculptures s’intéressaient à l’expérience de la campagne, alors que l’iconographie de l’église, et des services religieux a été un élément constant de l’art de Gilbert & George. Les Jack Freak Pictures, et en particulier les images de la série qui porte sur la danse, semblent transmettre un sentiment de paganisme transposé dans la ville, ou encore de music-hall folklorique, où les artistes – souvent représentés en costume à motifs et colorés – sont sombres et sérieux, mais en train de danser.

Harvest Dance exemplifie cette série d’images. Leurs costumes assortis les font ressembler à des artistes de variétés, on dirait qu’ils ont été coupés dans un tissu inspiré du dessin de l’Union Jack, le drapeau britannique. Gilbert & George apparaissent, de façon incongrue, en train de danser – l’expression du premier est figée et sévère, l’autre est sérieux et impassible. Leur danse a un air rustique, à la fois énergique et formel – comme si les danseurs étaient liés par instinct, tradition ou devoir à un rite ancien. Chacun porte une brindille qui bourgeonne; alors qu’à leurs pieds semble se trouver du blé mûr – dont la teinte dorée entoure les corps des danseurs comme une aura, baignant leurs mains et leur visage. Le décor de la danse est moderne et urbain : juste derrière Gilbert & George se trouve une vieille barrière aux barreaux pointus – aussi dorés, comme si, à la manière de Midas, tout ce que touchent Gilbert & George se transformait directement en or.

Pyre Dance, War Dance, Union Wall Dance, Salvation Army Dance, et Hoity Toity gardent cet air étrange, comme en transe. La danse est présente chez tous les êtres humains, et existe depuis des milliers d’années, forme universelle d’expression personnelle et sociale. Dans les Jack Freak Pictures, nous voyons Gilbert & George – souvent ressemblant à des artistes de variétés – entamer ce qui semble être une représentation rituelle de pas simples. L’on pourrait se dire que ces images de « danse » sont reliées aux sculptures majeures Underneath the Arches (1969) ou Red Boxers (1975), où mouvement et représentation sont pareils à une transe. D’autre part, dans Nettle Dance par exemple, Gilbert & George ressemblent à un duo de chanteurs-danseurs, mais leur expression est totalement ambiguë. Ils pourraient être des artistes de variétés, mais leur expression est figée, sévère et vide. (Dans la pièce de John Osborne The Entertainer (1957), l’artiste de variétés raté Archie Rice décrit ses yeux comme étant « morts » sous son maquillage de scène et son personnage guilleret et irascible. De même, et d’une certaine façon, Gilbert & George font contraster l’activité de danse, en costume extravagant, avec une sorte de sénilité culturelle ou cosmique).

Les Jack Freak Pictures s’inscrivent dans les oeuvres complètes de Gilbert & George à la fois comme la consolidation du thème et des sentiments qu’ils ont explorés dans leur art pendant plus de quarante ans et comme une avancée novatrice dans de nouveaux territoires émotionnels. Elles possèdent un air magique, cérémonial, à la fois fébriles, violentes, et emplies d’un apparat ambigu – comme si le faste national était infecté de panique morale, au sens mythologie classique ancien, comme si le dieu Pan, pour mettre ses ennemis en déroute, laissait échapper un cri puissant.

Cette confluence d’anxiété et d’agression, où Gilbert & George sont en même temps victime et monstre – personnifiés en music-hall cosmique, sentinelles insomniaques dans les rues vides des villes, têtes sphéroïdes aux yeux fous, dégageant faiblement des auréoles argentées, flottant entre des branches sans feuilles – est le climat humide des Jack Freak Pictures. Une encyclopédie d’états altérés : les rêves lucides d’artistes de variétés chamaniques, tirés des rues de l’est de Londres.

Michael Bracewell



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