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Soleils noirs

Musée du Louvre-Lens

Article mis à jour le 02/06/20 23:40

Exposition du 10 juin 2020 au 25 janvier 2021

Initialement prévue du 25 mars au 13 juillet 2020, l'exposition Soleils noirs organisée par le musée du Louvre-Lens débute le 16 juin 2020 en raison de la crise sanitaire du coronavirus. L'exposition est prolongée jusqu'au 25 janvier 2021.

L'exposition Soleils noirs plonge d'emblée le visiteur dans une expérience du noir. Omniprésent dans les phénomènes de la nature, le noir a nourri de tout temps les artistes, cherchant à retranscrire dans leurs oeuvres cet éveil des sens.

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Nicolaes Eliasz PICKENOY, De regenten van het Spinhuis, 1628. Huile sur toile, H. 178 cm ; L. 233 cm. Amsterdam Museum © Amsterdams Historisch Museum


Dès le 15e siècle, la nuit devient un sujet de peinture à part entière. Les scènes de pénombre, en extérieur comme en intérieur, constituent un extraordinaire terrain d'expérimentation pour susciter des émotions – comme en témoigne la Sonate au clair de lune de Benjamin Constant, où l'artiste révèle le caractère énigmatique et impressionnant de l'un des plus grands génies de la musique, Beethoven, par une obscurité quasi-complète. Plus inquiétants ou exceptionnels, les orages et les eaux sombres sont d'autres motifs prompts à révéler la richesse du noir. De Gustave Courbet au vidéaste Ange Leccia, les artistes s'emparent de ces sujets pour exploiter les infinies nuances de cette couleur, dans des compositions qui attirent de façon magnétique le regard.

Absence de lumière née d'une source de lumière, l'ombre est la fondatrice mythique du dessin et devient chez certains artistes le cœur même de la toile. Le jeu entre noir et lumière les amènent à explorer un type de composition paradoxal, le contre-jour, permettant de questionner sa perception du monde – à l'instar de Douglas Gordon dans une série d'éclipses.

Le parcours de l'exposition Soleils noirs au musée du Louvre-Lens explore également les rapports, structurants mais ambigus, entre noir et sacré. Communément associé aux enfers, depuis l'Antiquité et dans les différentes religions, le noir suscite la crainte et la fascination. Intimement lié à l'occulte et aux superstitions à partir du Moyen Âge, il prend place au sein d'un imaginaire occidental où s'épanouissent monstres et créatures diaboliques, qu'ont cherché à mettre en images les artistes – des gravures de Félicien Rops et araignées duveteuses d'Odilon Redon au monochrome composé de mouches du plasticien Damien Hirst. Mages, sorciers et épisodes sombres de chasses aux sorcières par l'Inquisition, ces figures imprègnent les Beaux-arts et la littérature jusqu'à aujourd'hui. On retrouve cette iconographie, au pouvoir obscur et envoûtant, chez Eugène Delacroix représentant Macbeth consultant les sorcières ou Les Trois Sorcières de Johann Heinrich Füssli.

Indissociable des réflexions sur la mort, la couleur noire est utilisée dans les œuvres traitant de sujets religieux pour représenter les « passions » ou encore des « vanités ». Par un usage sensible du clair-obscur, qui se développe au 17e siècle, les artistes font émerger des ténèbres des corps souffrants et en restituent les atmosphères dramatiques. Dans une œuvre hommage, La Pietà, Hyppolyte Flandrin accentue l'intensité dramatique de son tableau, en représentant une mère presque sans visage, se détachant à peine du fond sombre de la toile, penchée sur le corps de son fils.

Le noir revêt une dimension sociale. Considéré comme couleur de la salissure et de la faute par les sociétés chrétiennes, le noir va progressivement changer de statut pour devenir un symbole de puissance. Le coût élevé des procédés de teinture qui se développent au 15e siècle et permettent la création de textiles aux noirs éclatants en font un attribut réservé aux hautes strates de la société, qui n'hésitent pas à se faire portraiturer vêtues des étoffes les plus raffinées. Au 19e et 20e siècles, sous les doigts experts de grands couturiers comme Jeanne Lanvin ou encore Yohji Yamamoto, le noir acquiert ses titres de noblesse, avant de se diffuser à grande échelle et de devenir le symbole de l'élégance et de la modernité. Le noir des velours, satins et autres dentelles, qu'il soit représenté par les artistes comme Edouard Manet ou sublimé au travers de créations textiles, est un hommage chatoyant à l'éclat du coloris. À l'opposé du luxe des vêtements teints en noir, les peintres donnent aussi à voir la crasse qui noircit les haillons et la peau des nécessiteux. Alors que de profonds changements d'ordre politique affectent au 19e siècle les classes sociales les plus vulnérables, le noir de la rue est choisi par les artistes pour montrer les aspects les plus crus des sociétés modernes et des catégories les plus défavorisées.

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Eugène DELACROIX, Macbeth consultant les sorcières, 1825. Lithographie, H. 47,2 cm ; L. 30,8 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et Photographies © BnF


Le noir industriel trouve un écho particulier au Louvre-Lens, installé au cœur de l'ex-bassin minier. Le noir du charbon, emblématique de l'ère industrielle, marque les visages des mineurs et frappe l'imaginaire collectif. Ces travailleurs des profondeurs, souvent désignés par l'expression « gueules noires », deviennent iconiques de cette modernité. Avec son Tas de charbon, Bernar Venet fait sculpture de ce matériau ordinaire, directement déversé sur le sol, sans dimension ni forme spécifique.

Les artistes appartenant au Nouveau réalisme, comme César, dans la seconde moitié du 20e siècle, convoquent également les matières noires afin de révéler la poésie du monde moderne et témoigner d'une réalité nouvelle marquée du sceau de la consommation. Des artistes de l'Arte Povera, tel Jannis Kounellis, privilégient des matériaux humbles, organiques, qui rappellent l'homme à son histoire. Dans l'une de ses pièces, formant un épais matelas, des sacs en toile de jute aux noms de destinations lointaines sont empilés devant un mur peint en noir. Très présente dans l'œuvre de l'artiste, la couleur renvoie à la suie et au charbon, matériaux de la révolution industrielle des sociétés européennes du 20e siècle.

La recherche du noir pour le noir anime le travail des artistes dès le début 20e siècle. Bien que différentes symboliques soient attachées à cette couleur, les artistes ont su s'approprier les qualités propres au coloris pour en sublimer les textures et les différents effets au travers de compositions où seule la teinte semble se déployer. Le terme de monochrome est communément adopté pour désigner ces créations dominées par le noir. Ad Reinhardt propose une expérience de contemplation, proche de la méditation, dans ses Ultimate Paintings, « les dernières peintures que l'on peut peindre ».

Le noir se fait aussi matière première de la création des artistes, qui l'utilisent comme un écran duquel émergent les formes et les images. Céramique, gravure, impression, peinture : en soustrayant de la matière ou de la couleur à leur support d'expression, les artistes font du noir l'élément fondamental à l'existence de leurs œuvres.

Adoptant une démarche radicale, certains artistes comme Kasimir Malevitch, vont volontairement évacuer la narration et la figuration au profit de l'abstraction. Dans ces œuvres, le noir devient une substance sans cesse réinterrogée, utilisée pour son caractère symbolique autant que plastique.

Presque comme un parachèvement, les outrenoirs de Pierre Soulages déploient toute la richesse, les dualités et la complexité du noir.



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