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Hassan Khan

Galerie Chantal Crousel, Paris

Exposition du 29 janvier au 5 mars 2011




"Ne vous fiez pas aux lumières. Au contraire, allez chercher dans les ténèbres ce dont vous avez besoin. L’installation vidéo d’Hassan Khan Jewel (film 35mm en HD) débute avec une bande-son (réalisée par Hassan Khan) au bourdonnement hypnotique, et est baignée dans un voile de lumières clignotantes. Mais on découvre vite que ces lueurs ne sont ni des étoiles ni un village côtier dans la nuit, mais une nuée de baudroies des abysses aux dents acérées - cette élégante perception scintillante n’est autre que la lumière émise par leur étrange excroissance sur la tête: un leurre pour les proies. Dans un rythme féroce, l’image de la baudroie se fige et se transforme, "fossilisant » comme le motif de lumières. La caméra recule, et l’image du poisson se retrouve enfermée dans un objet mouvant – une sorte de boule à facettes comme totem de substitution – autour duquel deux hommes, un jeune et un plus vieux, exécutent désespérément une danse étrange faite de gestes simulant la noyade, la chute, le fouet. C’est une scène simple de la sous-culture arabe assez sinistre, mais parfaitement viable, qui se complaît dans la réponse d’un total effondrement – celui dans lequel la danse, des membres s’agitant dans l’air, devient une performance puissante et résistante composée de gestes inutiles. Se déplaçant avec l’ambivalence de marionnettes commandées par des forces extérieures, l’oeuvre se termine par un travelling arrière nous plongeant lentement dans l’obscurité. Qu’est-ce qui hante ces hommes et les oblige à agir, à bouger ?

A la Galerie Chantal Crousel du 29 janvier au 5 mars 2011, Khan présente "Lust", une constellation d’oeuvres récentes qui peuvent être considérées comme des points focaux dans sa pratique au cours des trois dernières années. Bien que les travaux prévus soient très énigmatiques dans leur nature et communiquent sur plusieurs registres, il est à la fois important de les considérer dans la lumière d’une ligne de pensée sophistiquée qui a pris place dans le travail de l’artiste au cours des 15 dernières années. La clé de cette réflexion a été une dynamique centrée sur la conscience privée et publique – une façon de traiter avec les mouvements de forces idéologiques et les constructions sociales de la valeur comme ils passent de la foule de la rue au psychisme et vice versa. En ce sens, nous pouvons alors adresser son oeuvre comme un moyen de faire face à la nature spectrale de ces mouvements à travers un inconscient culturel qui coule vers un "esprit public".

La clé de tout est l’approche particulière d’Hassan Khan vers la façon dont la réflexion idéologique et la spectralité fonctionnent par rapport à la matière physique. Dans une tentative de revenir sur la pensée latente quasi-religieuse et messianique des écrits de Marx sur le fétichisme de la marchandise, Jacques Derrida a utilisé le terme de "hantologie" pour décrire une ontologie spectrale qui fonctionne dans la critique matérialiste de la marchandise de Marx. Comme un jeu subtil sur l’ "ontologie", le terme laisse place à une forme fantasmatique de l’être qui précède la marchandise matérielle comme un désir fantomatique pour un tel produit à sortir (ou être produit) en premier lieu. Derrida suggère ensuite que la critique très matérialiste de Marx soit un exorcisme de la présence fantomatique et auratique préexistante, qui entoure un objet, expulsant les fantômes qui possèderaient une matière, comme du bois, qui penserait non seulement être une chaise, tout autant qu’un diamant, ou même une Ferrari. Mais à la suite du "hantologique", pour Khan ces apparitions sont d’une importance capitale, car elles sont elles-mêmes une autre forme de matière. C’est ici que le travail de Khan en tant qu’artiste trouve sa matérialité : en tant que compressions des désirs sociaux.

Si l’on suppose ensuite que ces désirs collectifs, une forme de consensus caché, véhiculent également un contenu idéologique, la question évidente devient : Quels sont les autres produits errants, spectraux, qui circulent, et comment pouvons-nous les percevoir ? Dans cette perspective, nous sommes déjà entrés dans une autre existence – celle qui exige un retournement dans la compréhension de la façon dont les objets se comportent, et comment ils reflètent et satisfont les désirs collectifs (ou leur manque). Avec Banque Bannister (2010), la pièce maîtresse de l’exposition à la Galerie Chantal Crousel, on trouve une rampe en laiton qui essaie de trouver son usage – s’appuyant sur quelque chose qui manque et conduisant à quelque chose qui n’est pas là. Suspendue dans l’espace, elle prend la forme d’une tuyauterie ordinaire ou d’un "Stairway to Heaven", se projetant en avant pour trouver l’escalier sur lequel elle pourrait s’appuyer.

Dans un détournement typique de la démarche duchampienne, semblable à celui de Banque Bannister, Evidence of Evidence II (2010) de Khan est un gigantesque (3,5 x 3 mètres) scan d’une peinture de fleurs, abandonnée dans la rue et imprimée sur du vinyle, qui inverse les prémisses d’une Fontaine (1917) ou Porte-bouteilles (1914). A l’instar des ready-made de Duchamp, il prend un autre caractère lorsqu’il entre dans l’exposition, mais, à l’opposé de Duchamp, il ne gagne pas de valeur auratique ou ne devient pas formellement abstrait – en fait, sur un plan formel, Evidence of Evidence II est à peine conscient du format d’exposition, et arrive sans suspicion ou idées préconçues. Comme son titre l’indique, l’aura ne réside pas dans le contexte (le format d’exposition, chargé de ses implications), mais était là avant lui, dans l’origine domestique du foyer de la peinture de fleurs. En tant qu’extraction scientifique agrandie de la signification collective latente telle qu’elle apparaît dans un motif de base décoratif bourgeois, l’artiste a décrit Evidence of Evidence II comme "un ensemble de valeurs et de faits socio-économiques en cours de transformation ou de traduction dans les faits esthétiques". C’est ainsi que Khan dispose les objets qui fournissent le généralement-reconnu et le déjà-existant pour les faire parler à la fois de ce qu’ils sont et de ce à propos de quoi ils sont. Ce n’est pas un tour de passe- passe duchampien qui recontextualise l’objet afin d’introduire d’autres lectures possibles, mais l’inverse : un processus fondamentalement soustractif d’oblitération du potentiel d’une peinture de fleurs déjà auratique, déjà chargée pour dire quoi que ce soit sur la personne qui la possède. La réduisant au matériel littéral, elle devient méconnaissable même à elle-même.

Il est également important ici de mentionner l’obscurité qui entoure ces travaux, car pourquoi serait-il nécessaire d’effacer les significations, de soustraire les possibilités, de réduire l’action de telle sorte – surtout lorsque tant de ce langage utilisé dans les contextes artistiques est orienté vers la production du sens, la multiplicité des possibilités, la célébration de l’hétérogénéité, et même le potentiel pour l’art de faire des contributions positives au monde ? Avec cela, nous pouvons tout simplement nous tourner vers une autre compréhension commune, à savoir que le contenu "politique" dans l’art est nécessairement positif et en faveur d’une mise en oeuvre de la possibilité de l’action politique. Mais comment le politique peut être automatiquement aligné avec l’action, avec "l’espoir", et la potentialité ? Qu’en est-il des régimes autoritaires, de la tyrannie, de la pauvreté des options disponibles, de la corruption endémique, des élections bâclées, de l’effondrement général – une saturation de la politique qui ne comprend pas la démocratie ni l’activisme, mais se tourne plutôt vers la défaite et le retrait ? Ces existences ne sont-elles pas également politiques, si ce n’est, radicalement davantage ? Quelle est la forme d’une impasse politique dans laquelle il n’y a pas d’expression formelle, pas de représentation, où une allocution politique complètement vidée de tout potentiel pourrait encore parler ? (Et ceux qui cherchent à situer le travail de Khan dans un contexte égyptien peuvent commencer par extrapoler le climat politique actuel et le régime en Egypte dans ce qui vient d’être dit – ils n’en seraient pas loin.)

Tout cela n’est pas pour introduire la géopolitique dans le propos, mais plutôt pour souligner la viabilité d’un langage formel pour le contenu politique qui élargit les anciennes structures de pouvoir en tant que telles et à travers des contextes culturels spécifiques, afin d’englober aussi un moyen d’entrer en contact avec la façon dont la forme d’un objet physique peut parler sa propre langue, agissant comme une dépositaire dense de l’expérience avec le pouvoir. Une des oeuvres les plus éphémères de l’exposition s’intitule Lust (2008), une série de cinquante photographies encadrées prises au téléphone portable et installées sur trois murs. Documentant des rencontres élégiaques avec d’étranges objets hantés et des instants de la vie quotidienne, Lust suggère la condition particulière que l’oeuvre de Khan incarne comme une sorte de phénomène naturel forgé par les différentes situations qu’il a connues au cours de ses voyages. En ce sens, nous pouvons admettre que cette condition est générale, et que certaines “forces obscures” qui exercent une pression sur les formes pour leur apporter la structure – pour un homme dégarni, un tronc d’arbre, un tas de voitures garées – surmontant le fait d’être une condition politique pour devenir quelque chose à la fois psychique et collectif, par lequel une sorte de tranquillité est induite.

Dans une approche similaire, Insecure (2002) – une oeuvre textuelle composée d’indications à suivre par un individu – situe un processus d’identification comme les moyens de former sa propre conscience, tout autant que d’identifier à l’intérieur certains trous béants. "Chuchotez votre nom à vous-même, encore et encore, jusqu’à ce que vous ressentiez que cela n’a plus de sens". « Demandez-vous ce que vous attendez réellement de la personne la plus proche de vous". D’un côté, ce sont les marqueurs d’une sorte de bourbier existentiel, une impasse psychique produite par la rencontre unheimlich avec ses propres limites. Qui suis-je ? Mais il ne s’agit pas simplement d’un pathos artistique – voir comment chaque instance est relationnelle. Ce que nous trouvons ici est en fait une économie, néanmoins brisée : produite sans aucune raison, cette boucle psychique irrationnelle du doute de soi constitue des demandes et des désirs qui n’ont pas d’écho dans l’économie réelle, qui ne peuvent être donnés ou reçus, qui ne proviennent de rien et n’ont pas de valeur. Ils sont d’une certaine manière une tentative d’exorciser la construction sociale de soi.

C’est dans ce sens que la vidéo G.R.A.H.A.M. (2008) de 14 minutes peut être vue comme une tentative de ramener ces spectres et produits psychiques errants sur le sujet – plus précisément le sujet de la vidéo, un homme prénommé Graham – dans une tentative de produire une autre sorte de portrait. Khan parle de cette oeuvre comme d’ "un portrait de quelqu’un qui négocie avec qui il est", et en effet ceci est intentionnellement provoqué par Khan au travers d’un processus qui questionne Graham sur son histoire personnelle et, questions auxquelles il lui est demandé de ne pas répondre, sauf par des expressions du visage et des gestes subtils. L’oeuvre rejoue délibérément une sorte de scénario anthropologique d’exploiteur dans lequel seul l’homme derrière la caméra peut parler, tandis que le sujet doit "rester lui-même". Mais, paradoxalement, c’est l’intensité silencieuse de Graham qui devient une "voix" prépondérante par laquelle l’oeuvre communique. La conséquence est que cette oeuvre traite de Graham devenant G.R.A.H.A.M. : confronté silencieusement à ses fantômes (ou, plus probablement ses démons), nous assistons à la formation d’un sujet équilibré en extension et contraction.

Ou le cinématographique Muslimgauze R.I.P. (2010), une ode oblique à Bryn Jones, le prolifique musicien expérimental de Manchester, qui a produit de nombreux enregistrements comme Muslimgauze avant de décéder en 1999 à l’âge de 37 ans. Le court-métrage de 8 minutes présente un jeune garçon à l’intérieur d’un appartement en 1982 à Manchester explorant son propre environnement matériel avec une curiosité oisive, traçant sa main au-dessus des bibelots divers sur le buffet, étudiant le mécanisme des portes de placard, sentant la chair de son propre visage, faisant tourner une pièce de monnaie sur une table, regardant le plafond et étant ailleurs. Alors que cet enfant ne peut être personne d’autre que l’artiste, Bryn Jones avait à peu près 21 ans en 1982, et, effectivement, ce fut l’année où Muslimgauze est apparu comme une expression de solidarité avec la cause arabe suite à la l’invasion israélienne du Liban. Khan a, en fait, construit cette scène comme un scénario hypothétique qui a lieu à côté de l’appartement de Jones à Manchester – et il est intéressant de noter que, jusqu’à sa mort en 1999, l’homme qui a produit des centaines de disques, dont plusieurs avec des titres comme No Human Rights for Arabs in Israel (1995), Fatah Guerrilla (1996) et Speaking With Hamas (1999), n’avait jamais été au Moyen-Orient et n’était pas musulman, même s’il a parfois joué dans des mosquées au Royaume-Uni. Comment a-t-il pu produire autant d’oeuvres musicales de solidarité explicite avec les mouvements politiques avec lesquels il n’avait aucune expérience directe ? Alors que ce garçon dans l’appartement voisin se familiarise avec le petit monde de son appartement familial (ou, pourrait-on dire, de l’Angleterre thatchérienne), Jones était à côté donnant une physique totalement différente de contact ou de touche interculturels se projetant lui-même en dehors de l’Angleterre thatchérienne à travers, pour reprendre les termes de Khan, "une sublimation des conditions désastreuses du conservatisme du Royaume-Uni de cette époque dans un exotisme radical qui parlait, en particulier, de son propre contexte local".

On peut voir les oeuvres présentées dans "Lust" comme une constellation de points d’entrée dans un monde matériel dans lequel les traces fantomatiques de conditionnement idéologique sculptent littéralement non seulement des objets, mais des sujets – une économie souterraine dans laquelle la conscience collective est à la fois produite et effondrée. En ce sens, les oeuvres de Khan peuvent être considérées comme l’articulation d’une phase de transition entre la projection d’une telle conscience et de sa manifestation – un point liminal où les idéologies peuvent encore refléter les forces sociales responsables de leur production. Et pour une raison quelconque, c’est à ce point que ces objets se mettent à trembler – hantés ou contraints par des forces étranges à parler d’eux-mêmes. Et quelle est sa voix ? C’est celle de l’inconscient culturel qui s’écoule – le créateur de protocoles non-humain, le créateur de tendances par excellence, le maître sculpteur, l’architecte de symétries accidentelles parfaites et de doute de soi, de solidarités imaginées : le consensus caché."

"Les objets de la conscience collective"
Par Brian Kuan Wood



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