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Parcours de l'exposition Cézanne et les maîtres. Rêve d'Italie III

Novecento

Article mis à jour le 27/06/20 17:50

Musée Marmottan Monet, Paris

Exposition du 27 février 2020 au 3 janvier 2021

L'exposition Cézanne et les maîtres. Rêve d'Italie présente les tableaux de Paul Cézanne à la lumière de chefs-d'œuvre italiens des XVIe et XVIIe siècles

Très tôt sensible aux nouveaux langages des avant-gardes, du Cubisme au Futurisme, Morandi découvre Cezanne à travers les reproductions en noir et blanc de l'Histoire de l'Impressionnisme publiée en 1908 par Vittorio Pica, journaliste et critique d'art qui a longtemps séjourné à Paris. En dépouillant les œuvres de leur éclat chromatique, ces images mettent en évidence leurs valeurs plastiques. Avec ses limites, le noir et blanc favorisent une lecture personnelle qui, concentrée sur quelques points, permet au jeune artiste d'élaborer sa propre interprétation. Morandi y retrouve ces mêmes qualités solides et concrètes qui l'avaient arrêté chez Giotto, Paolo Uccello ou Piero della Francesca, et l'importance affirmée de la forme et de la structure. Ses peintures relèvent d'un travail sur le motif. Elles reposent sur une observation assidue du réel qui se résume essentiellement aux objets de ses natures mortes, aux cours intérieures de la Via Fondazza à Bologne, aux paysages de Grizzana, un village des Apennins où la famille possède une maison.

Pour son Paysage, Morandi en a retenu l'essentiel; un arrière-plan harmonieux dissimulé dans la nature, la scansion des plans tissant dans l'espace une trame serrée. L'étude de la nature vient, chez Morandi comme chez Cezanne, à être simplifiée selon un point de précision et d'équilibre rigoureusement choisi. Ce qui ressort de ces paysages est une synthèse du réel, une logique de la sensation qui passe par le détour d'une lente recomposition intérieure.

Dans les années 1920, la réception de l'œuvre de Cezanne en Italie poursuit les principes d'un nouvel art italien fondé sur un ordre classique, héritier d'une longue tradition. Mario Sironi va devenir l'un des principaux protagonistes de cette expression en fondant avec sept autres artistes, le mouvement Novecento. À l'encontre de l'historicisme des avant-gardes et du futurisme, ce classicisme recherche la structure des formes et l'harmonie dans la composition. Mario Sironi n'est pas insensible aux leçons du maître d'Aix-en-Provence. La rencontre avec celui-ci fut pour l'italien une expérience décisive, dès ses premières années de formation. On en retrouve notamment l'empreinte dans ses portraits où les images largement soutenues par le jeu des valeurs imposent leur présence, marquée d'un sceau de grandeur. Ce sentiment est visible dans Portrait du frère de l'artiste dont le modèle adopte une posture proche de celle de l'Homme assis de Cezanne. Le regard porté à l'extérieur du cadre de la toile donne, dans le premier portrait, l'expression de mélancolie, dans l'autre, une certaine idée de l'absence. Le classicisme de Sironi s'applique par une touche fine, en larges plans de couleur, lorsque celui de Cezanne vient à désintégrer forme et couleur pour la recherche d'une même unicité. Souhaitant faire de « la petite sensation» chère aux Impressionnistes quelque chose de solide et durable, Cezanne a accompagné les artistes dans leur recherche «du retour à l'ordre».

La présentation des œuvres de Cezanne lors de la deuxième et la troisième Exposition d'Art de la Sécession Romaine ont éveillé l'intérêt de jeunes artistes comme Umberto Boccioni. Boccioni fréquente depuis 1906, les milieux parisiens d'avant-garde en se faisant le défenseur des idées du mouvement futuriste dont il est l'un des fondateurs. L'artiste rejette le statisme cubiste au profit des qualités dynamiques de la forme.

Il ne tarde pas à découvrir Cezanne dont la peinture est célébrée en France par les générations montantes. Les huiles et les dessins qu'il produit à Milan dans la première décennie du siècle ne sont pas sans rapport avec les œuvres réalisées par le peintre français dans sa maturité. Elles témoignent d'une analogie de vision, notamment à l'égard de la nature.

Portrait de jeune fille, qui date de cette période, rappelle le portrait de Madame Cezanne accoudée par son traitement des volumes et son luminisme qui tend à solidifier l'image. Dans le portrait de la jeune fille, qui reprendrait les traits de Mademoiselle Kitty, fille du couple russe Wervlowsky, que Boccioni connut à Venise en 1907, le visage devient le centre de la composition de la toile d'où partent des touches énergiques de plus en plus larges. L'expression cezannienne, sa recherche de synthèse, devient alors pour Boccioni un objet d'étude et d'attention pour capter la fugacité dans sa forme éternelle.

L'influence de Cezanne dans la peinture de Pirandello n'est pas à en douter. Dès 1927, le peintre, alors âgé de 28 ans, fréquente Paris et découvre l'œuvre de l'Aixois. Les études de jeunesse de Cezanne, ses baigneurs dont la charge érotique, agressive et grotesque dynamitait les convenances académiques les mieux établies ne pouvaient qu'attirer le jeune peintre.

Cette toile, Baigneuses vues de dos, manifeste l'enseignement du maître français chez Pirandello et lui rend, par la reprise de ce thème, directement hommage. Comme chez Cezanne, l'utilisation d'une palette restreinte des couleurs et la vivacité du geste conduisent à la construction de corps qui structurent puissamment l'espace. Mais à la différence de l'œuvre de maturité de son aîné aux lignes fluides et à la touche vibrante, l'expressivité des formes se retrouve par la consistance de la matière que l'italien applique sur la toile par de larges coups de pinceaux, non sans rappeler le Cezanne pré-impressionniste.

Au-delà de la recherche commune d'une fusion entre corps et paysage dont ces deux toiles sont des exemples, le sujet des baigneurs nous renvoie à la centralité du modèle humain et à son importance si manifeste dans l'art italien du XXe siècle.

Pour Cezanne comme pour Morandi, la nature morte est un dévoilement poétique, un hymne à la vie restituée dans la nudité impersonnelle des objets quotidiens, métaphores silencieuses d'une vision du monde. Morandi disait d'ailleurs que «certains peuvent voyager à travers le monde et ne rien en voir. Pour parvenir à sa compréhension, il est nécessaire de ne pas trop en voir, mais de bien regarder ce que l'on voit.» La disposition et le réagencement répétés de mêmes accessoires dans les compositions des deux peintres montrent un intérêt commun pour les effets produits sur les formes par les variations lumineuses. Chez Morandi, plus que chez Cezanne, les délicates compositions enregistrent les heures du jour comme le passage des saisons. L'italien assimile peu à peu les détails des natures mortes cezanniennes, leurs couleurs et leurs hauteurs de tons, pour laisser affleurer l'identité de chaque objet au terme d'un lent et sévère processus de réduction.

Les bouteilles, verres, boîtes aux formes décantées tendent petit à petit vers l'abstraction tandis que la gamme presque monochrome, couleurs pâles, subtiles, à la limite de la grisaille, confère aux objets un aspect irréel. La simplicité se substitue à la force des composantes qu'elle purifie.

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