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Eugène Dodeigne - Les figurants

Palais Rihour, Lille

Exposition du 20 septembre au 7 décembre 2008


Le Musée d’art moderne propose de rendre hommage à un artiste de renommée internationale, originaire de la région : Eugène Dodeigne. L’exposition fait dialoguer les fusains issus des collections du Musée avec des oeuvres prêtées par Dodeigne. À travers ses dessins et les ébauches en terre cuite de ses sculptures (dont certaines se trouvent dans le parc du Musée), c’est l’univers de l’atelier de l’artiste qui s’ouvre au visiteur. L'exposition est co-organisée par le Musée d’art moderne Lille Métropole et la Ville de Lille dans le cadre des Journées européennes du Patrimoine 2008.

Cette exposition est née d’un paradoxe, elle n’est pas vraiment conçue comme un hommage ni une récompense, elle est plutôt imaginée comme une reconnaissance de terrain. Tout d’abord, elle est née d’une volonté de montrer l’atelier, ce lieu si particulier que tous les critiques, qui ont écrit sur Dodeigne, se sont plu à décrire, peut-être parce qu’il avait construit ce lieu d’habitation et de travail de ses mains, avec des blocs de pierre ramenés des chantiers de démolition lors de la restructuration de Lille. C’est une maison de sculpteur dans la mesure où les blocs, les poutres, les renforts, les structures sont toujours visibles et constituent une sorte d’assemblage. Pourtant, le travail de l’architecture moderne s’y fait sentir tout autant que certaines architectures qui semblent avoir traversé le temps. C’est une maison de sculptures aussi, car elle s’ouvre de plain-pied sur un jardin, sur une presque campagne ou quelque chose qui ressemble à la campagne et qui demande de la place pour que les formes puissent se dilater, partir d’un informe pour retrouver la forme. De sorte qu’il ne s’agit pas tant de l’éternel discours de l’intérieur et de l’extérieur, que des volumes qui dialoguent et circulent comme des êtres vivants, comme les habitants ou les figurants d’un projet plus vaste. Tout cela aurait quelque résonance mystérieuse si les photographies agrandies de l’atelier de Dodeigne ne rendaient pas perceptible cette expansion des formes.

  • Et surtout pas les sculpteurs !

    Geneviève et Jean Masurel ne s’étaient pas trompés lorsque leur choix s’était porté sur une sculpture de bois rare dans la production de Dodeigne et des fusains qui, dans la violence d’une torsion, condensaient des modèles d’une sculpture qui semble ne pas faire l’objet d’études préparatoires. La confrontation avec Auguste Rodin au printemps dernier dans le parc de son musée à Paris ne faisait que rendre plus patente la parenté étrange et la profonde différence entre la nature de leur expressionnisme. Il était logique d’imaginer Dodeigne, à Paris, influencé lors de sa formation aux Beaux-Arts par Rodin, encore que, dans les années 1940, Rodin est au niveau de la sculpture un modèle qu’il faut apprendre à oublier, il occupe l’esprit de tout sculpteur, il les hante même. À la grande différence de Rodin, les figurants de Dodeigne ne souffrent pas - ou plus -, et cela peut paraître antinomique de tout ce qui a été écrit sur la sculpture de Dodeigne et, également, à tout ce qui remonte de la tradition expressionniste dont il est issu, formé.

    Sa sculpture ne souffre plus du tout ou, pour être plus juste, elle a fini de souffrir car elle a trouvé dans sa torsion - qui n’est jamais une distorsion - une sorte de position de confort ou d’appui. En enfermant Dodeigne dans le seul champ de la sculpture, l’historien est confronté à une impasse en revenant sur les propos sensés ou pertinents de l’artiste parce qu’il ne théorise pas et qui, finalement, dans un geste las et amusé, pointant du doigt ses sculptures, ses dessins, ses peintures, dit que tout est là. Sa modestie et le faire priment sur un discours ; pourtant Dodeigne n’ignore rien des conditions dans lesquelles son art a pris forme, ni les parentés étranges qui le lient à d’autres artistes, et surtout pas à des sculpteurs ! Dans les principales études sur Dodeigne, deux références reviennent constamment : celles d’Auguste Rodin et de Germaine Richier, alors que la formulation par rapport à l’un et l’autre est sensiblement différente.

    La série des fusains empruntés au Fonds National d’art contemporain réalisés entre 1964 et 1966 sont des témoins, sinon des preuves, qu’il y aurait d’autres influences qui, d’un côté, ne tournent pas le dos à la sculpture et de l’autre, doivent permettre de la dépasser pour inscrire un travail dans un tout qui ne serait plus simplement tributaire d’un support, d’une technique, d’un matériau, sur lequel pourtant il faut sans cesse revenir, mais d’une parenté d’abord évidente : celle de Giacometti. Les fusains établissent des liens et des rapports que l’artiste ne dément pas ; le travail du visage, les cernes ne sont pas des motifs qui transforment le modèle en tête d’expression, ce sont davantage des recherches par le trait tournoyant autour du corps qui n’aboutissent pas du tout au même résultat, ni aux mêmes interrogations. Les visages dévisagent et, contrairement aux sculptures, ils ne luttent pas ou pas encore. Les visages sont rarement identifiables, de sorte que l’artiste interdit tout relais narratif ou biographique. On aurait tellement aimé savoir qui avait servi de modèle : sa femme, ses enfants, un ami, un peintre de la région? Non, Dodeigne les désindividualise, il les rend identiques, l’un valant pour l’autre, l’autre valant pour l’un. Dans ce que nous voyons, il ne semble pas faire de préférence, ni à l’un ni à l’autre. Il ne s’agit pas non plus d’indifférence, mais ce n’est que pour mieux effectuer le passage du particulier au générique, de l’individu au genre humain.

    Dodeigne prive l’historien de certains plaisirs : retrouver un nom, malgré la solidité des formes qui luttent contre leur propre image qu’ils ne peuvent pas maîtriser. Ils sont obligés de faire confiance à Dodeigne qui tient l’effigie, le corps entre ses mains. Le pouvoir est grand, mais comme le sculpteur peut être doux dans sa lutte, il n’abuse pas de ce type d’effets. Le premier passage est le contour du visage, des épaules, le deuxième, la caresse, puis le troisième trait, qui ressemble à un ricochet, prend au contraire de la distance avec ce corps, avec ce que l’artiste a pu savoir de l’individu et surtout ce qu’il va dire de celui-ci sans individualiser ni céder de quelque façon que ce soit à la psychologie.

    Bien que l’artiste ne tente pas d’individualiser son modèle par quelque chose, la psychologie de la morphologie reste une donnée opérante. La forme n’échappe pas (quelle que soit la volonté de l’artiste et la façon dont il a neutralisé le sens et les modes d’expression) à la psychologie lorsqu’elle est achevée, livrée ou montrée. C’est à ce moment que le visiteur, le curieux, l’historien reprennent la main sur les fusains ou les sculptures qui font penser à quelque chose, à quelqu’un, et souvent à un moment précis de l’histoire de la sculpture moderne. Les visiteurs ont le droit de trouver certaines figures renfrognées, d’autres musculeuses, certaines souples (la plupart), d’autres à l’affût ou sur le qui vive, mais il serait laborieux de pouvoir adapter la plupart des choses que l’on croit savoir sur les autres sur ces figurants. Ces derniers finissent par devenir familiers au visiteur, au promeneur, lorsque les sculptures sont présentes dans l’espace public, au milieu d’une place, dans un parc, dans une fontaine, à un angle de rue, se confondant presque avec des rochers, blanchis par le calcaire et les produits astringents pour que l’eau reste claire ou bleutée. De tels motifs et dégradations altèrent la perception de la sculpture, mais par le travail involontaire «du temps, ce grand sculpteur» (selon l’intuition de Marguerite Yourcenar), des liens nouveaux se font avec la sculpture d’autres pays, d’autres traditions d’assemblage et de symboles. Si le visiteur s’approche des figures debout de Dodeigne, il pourra percevoir la différence avec les bronzes de Rodin ; il ne subsiste plus aucun élément narratif : les attributs - vêtements et objets - ont disparu, ainsi que tout ce qui peut justifier une position ou une posture. Le récit, l’anecdote, l’argument est complètement ramené à son état zéro. Il est parfois même difficile de déterminer si les figures sont nues ou dévêtues. Leur corporéité relève plutôt de la morphologie générale du musée de l’homme qu’il fréquentait assidûment.

  • Contreplaqué ou les boxeurs

    Les corps, dans les grands fusains de Dodeigne, ont la position du boxeur - mais pas le boxeur tel qu’Arthur Cravan et les dadaïstes ont pu l’imaginer - luttant contre la société, souple, bondissant, symbole aussi d’une certaine forme de dérision, trompant les clichés ; le boxeur noir, l’aveugle, le poids léger, la boxe n’étant pas pour les dadaïstes synonyme d’un objet trouvé, mais de quelqu’un allant chercher la guerre, la «castagne» même. Eugène Dodeigne a quelque chose du destin, touchant par son côté un peu Marcel Cerdan de la sculpture moderne ; il serre les poings, esquive, saute légèrement, ou plutôt ce sont ses modèles qui font tout cela et dans n’importe quels supports, aussi bien la peinture et la sculpture que le dessin. La position du boxeur est prise au ralenti, le modèle est en position de défense, ou plus exactement est en position de se défendre. Saisi de mémoire ou immobile, impavide, le corps se défend tout seul par réflexe, non pas lorsqu’il est agressé ou en position de combat, mais lorsqu’il est observé.

    À partir du moment où il entre dans un champ de vision, le corps se défend, même dans les nus que certains jugeraient sensuels, il n’y a pas d’abandon. Le corps n’est jamais abandonné en dessin ou en sculpture chez Dodeigne : figures debout, de dos, de deux tiers, accroupies même (ce qui est un motif plus rare)… Lorsqu’elles sont couchées, elles ne s’abandonnent pas non plus car elles sont tendues : les muscles ne sont pas simplement bandés, la chair elle-même, les traits ou les empattements sablonneux du fusain ou du pastel gras, tracent une exigence de tension pour assurer la victoire du formé sur l’informe.

    "La pierre, c’est un rocher. Ça vit sans cesse, dit Dodeigne dans un entretien. La pierre, je suis tout seul avec elle, et elle, elle est toujours là. En définitive, c’est une lutte amoureuse avec le caillou. Il y a son odeur, il y a sa chanson. (...) Le fusain, très vite, ce n’est pas loin de la pierre, avec un peu ce côté sincère."

    Les deux grands panneaux de contreplaqué sur lesquels sont disposées des silhouettes au fusain découpées puis collées ne ressemblent pas, techniquement, dans leur montage, à Dodeigne, même si les silhouettes sont parfaitement identifiables. La disposition des corps, l’accumulation des contours et le démembrement morphologique constitue une foule qui n’est pas tellement homogène. Eugène Dodeigne s’en explique. Un jour, il a décidé de regrouper des fusains qu’il jugeait ratés et, plutôt que de les détruire, de les découper et de garder la forme qu’il jugeait la plus intéressante, Dodeigne les a replacés sur un grand panneau de contreplaqué dont le format horizontal, dit paysage, n’est pas coutumier de l’artiste. Cette technique confirme qu’il utilise les fusains comme des instantanés, comme certains artistes utilisent des photographies ratées. Eugène Dodeigne ne répond pas vraiment clairement lorsqu’on lui demande ce qu’il estime réussi ou raté, il ne sait pas, mais il le sent ; cela peut être la façon dont la figure prend place dans l’espace, le volume quelle dégage ou génère autour d’elle, la façon dont elle le mord. Il n’est jamais vraiment question d’une erreur dans le geste ou d’une imprécision ; le ratage est toujours une façon dont la figure prend possession de l’espace, en l’occurrence d’un support qui n’avait rien à voir avec son exécution. La recomposition donne aux figures une seconde chance et il est émouvant de se dire que ces figures, qui n’avaient à l’origine rien à voir les unes avec les autres, se retrouvent. L’espace entre elles est complètement recomposé de sorte que, contrairement à la plupart des groupes sculptés ou dessinés de Dodeigne, ce sont les seules figures d’une communauté de fortune. Les figurants partagent comme point commun le fait qu’ils ont survécu à la destruction certaine et qu’ils ont eu la chance de se trouver réunis sans que cela ne soit le moins du monde mélodramatique ou emphatique, ni ne puisse faire penser aux images des rescapés qui, depuis la Seconde guerre mondiale, n’ont pas bouleversé que la littérature et la peinture, mais également la sculpture. Celles d’Alberto Giacometti ou de Germaine Richier viennent de là, de la figure qui résiste à l’holocauste, qui y fait face.

    Les figures ainsi réunies mettent en échec toute tentative de les transformer en revenants, il n’y a pas d’après vie dans les figures de Dodeigne, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas une sorte de religiosité. Malgré les quelques commandes de l’évêché ou de paroisses, Eugène Dodeigne n’a jamais parlé de la foi. L’historien qui n’oserait pas lui poser la question doit donc imaginer. Pourquoi la croyance en une religion plane-t-elle comme une hypothèse sans solution dans son oeuvre? La sculpture a bien des difficultés à ne pas être d’une part associée à l’art religieux et d’autre part à l’art funéraire, de même qu’elle est souvent associée d’un point de vue formaliste.

    L’historien d’art, Erwin Panofsky (1892-1968) ne s’est pas trompé dans son analyse de la sculpture funéraire et de ses codes symboliques. Plusieurs interprétations peuvent être données de l’essai, mais il semble (même si son étude s’arrête au Bernin et que le genre de la sculpture funéraire n’a pas de réel équivalent au XXe siècle, excepté dans le monument aux morts) qu’un sculpteur (quel que soit le support) y pense forcément. La sculpture que les gens connaissent le mieux est celle, stéréotypée, des cimetières, ou celle des monuments aux morts ou religieux. Le détour par la question de la sculpture funéraire n’a pas d’autre but que de proposer ces deux alternatives : représenter les vivants ou les morts.

    Les corps en fusain, en pierre de Soignies, en marbre - plus rarement -, vivent une drôle de vie. Ils peuvent exprimer une forme de tristesse, mais jamais ils ne meurent ; ils ne le peuvent pas car l’artiste s’y refuse. Les moyens d’encourager une forme de vie c’est de les doter d’un souffle (relation entre le coeur qui s’enfle pour respirer et le coeur qui se remplit de joie parce qu’il est en vie) et qu’ils puissent se dilater. Or, ce ne sont pas les corps qui se dilatent dans les fusains, mais les formes elles-mêmes dans le cadre de leur espace ; cela veut dire qu’il n’y a aucune volonté imitative pour Eugène Dodeigne, même s’il travaille d’après des modèles vivants ou en observant simplement des amaryllis qui, par le travail du trait, la carnation deviennent chair, corps ou membres. Les fusains de Dodeigne ne transforment pas la fleur en une partie de corps, mais en chair, ou à une traversée à l’intérieur de la chair, débarrassée de toute forme de squelette. La différence avec la sculpture religieuse, c’est qu’il n’y aucune concession au dilemme auquel les sculpteurs modernes ont été confrontés, que Panosky estime être un trilemme : devoir choisir entre la pompe, la sentimentalité et l’archaïsme délibéré. Peut-être que le passage de la sculpture moderne à la sculpture et la modernité tientil dans le fait qu’elle peut échapper à un tel choix qu’il peut simplement s’agir d’une question de vitalité qui, selon la sculptrice anglaise Barbara Hepworth « n’est pas un attribut de la sculpture physique et organique de la sculpture – c’est une vie spirituelle intérieure ». Une telle foi peut être également irréligieuse puisque dans les formes les plus tendues et géométriques, elle évoque certains symboles francs-maçons qui, dans quelques groupes sculptés ou dessinés, se retrouvent notamment aux endroits où les arrêtes se font plus nettes et lorsque les corps ressemblent à un alphabet composé de sigles inconnus, transposant les oeuvres dans le domaine du symbolique, moins que dans celui de l’expressif.

  • Terres brûlées

    Les figurants représentent une quarantaine de terres cuites, certaine brutes, d’autres cirées, d’autres légèrement bistres, d’un rouge de sang coagulé. Ce sont des esquisses pour des réalisations plus importantes et aussi des oeuvres à part entière. La terre cuite est une technique qui n’a rien à voir avec la taille directe, puisqu’il ne s’agit pas de tailler pour dégager l’aspect anthropomorphique de la matière mais de modeler, de toucher, de digiter, d’aplanir, de creuser simplement avec les mains, d’appuyer directement sans outils sur des points qui peuvent laisser apparaître le corps. Une fois encore, le geste décrit renvoie à celui de la Genèse, celui de Dieu qui façonna l’homme à son image dans la boue. Cela ne veut pas dire que Dodeigne se prenne pour une sorte de Dieu, mais que ses figures mêmes, lorsqu’elles ne sont pas titanesques, constituent les parties d’un monde qu’il manipule, qu’il peuple et qu’il dépeuple aussi. Lorsque le sculpteur est interrogé sur ces terres cuites, sur leur accumulation et sur leur condition de présentation, il insiste principalement sur le fait que leur disposition doit donner l’idée d’une forêt constituée de corps. Dès lors que l’artiste tient à cette impression, le travail de l’analogie se met en place et ce qui semblait être de la chair par excellence ou une compression de pigments, prend des airs de bois tordu. La trouvaille n’est pas qu’un arbre soit particulièrement anthropomorphe, mais que les corps se dotent des qualités que l’imagination prête aux bois : sa chaleur, sa noeudosité, sa façon de bouger à partir d’un point fixe, sans compter toute la richesse de l’évocation des racines. Dodeigne retrouve ce balancement et ce glissement entre le végétal et l’humain. Les figurants se promènent donc dans une forêt dont ils sont les bois, l’écorce, les fûts. Peut-être est-ce pour rappeler la vieille analogie entre le tronc et la partie du corps qui est de loin celle à laquelle Dodeigne prête le plus d’attention et dispense le plus grand soin ? Peut-être évoque-t-il de vieux récits auxquels il n’a peut-être pas pensé, où la forêt tient un rôle dans la représentation? N’est-ce pas le lieu de la prédiction dans Macbeth qui annonce la réalisation de la malédiction et du funeste présage lorsque le roi voit avancer sur lui la forêt? N’est-ce pas aussi un souvenir même imprécis du chant dantesque de La divine comédie ne sachant plus très bien si l’orée d’une forêt annonce la paix ou le cauchemar? Dodeigne n’a pas d’hésitation comme le héros au début de L’Enfer avant de pénétrer dans la trop célèbre forêt obscure puisque les figurants d’une armée débandée, errante, encore que bien peu fantomatique, sont juste étonnés de la formidable faculté de suggestion des formes, lorsqu’elles sont isolées ou réunies, lorsqu’elles sont vues de près ou de loin.

    Le rendu des figurants est extrêmement différent par la texture beaucoup plus malléable par la carnation spécifique de la terre, par son caractère friable et fragile. En cela, la terre cuite partage des points communs avec les fusains, l’analogie n’est pas simplement fondée sur la proximité de la texture et de la couleur. Il est certain que le titre de l’exposition a été pensé en regardant ces figurines où «le musée imaginaire de la sculpture» se met en marche, en ordre de marche, comme ces terres cuites d’une armée chinoise qui ont été préservées parce qu’elles protégeaient et garnissaient la tombe d’un empereur d’une dynastie disparue. Il n’est pas certain que Dodeigne y ait pensé. Cependant, sa culture visuelle est importante, il suffit pour cela de revenir à l’atelier, de passer les pièces à vivre et de regarder, d’observer la façon dont les références s’articulent ; rien d’original ou de bien différent des autres ateliers d’artistes : une affiche, un carton d’invitation qui plaît particulièrement à Eugène Dodeigne, un tableau de Rembrandt qui rougeoie forcément un peu comme une paupière irritée. Et puis sur les bardeaux de bois des kimonos peut-être anciens, pendus sur des barres de bois, de sorte qu’ils ne s’aplatissent pas, qu’ils gardent une certaine quantité de volume. Leur forme géométrique devient alors frappante et le tracé rigoureux ressemble à une découpe dans l’atmosphérique (pas dans un ciel), les couleurs de la soie, les motifs floraux, végétaux ou animaliers, les saynètes, sont devenus presque diaphanes et ouvrent sur une sorte paysage vaste et imprécis qui ne partage plus rien avec l’anthropomorphisme. Alors seulement le regard plonge dans le sublime et s’y abîme. Il ne reste plus que le souvenir d’un froufroutement soyeux, tout cela dans une atmosphère qui n’est en rien précieuse et que d’aucun aurait trouvé bien laborieuse. Cependant, cette pièce, contrairement à l’atelier attenant, avec son four pour cuire les sculptures et l’encombrement savant de son univers, reflète davantage la réflexion que l’élaboration ; ici travaillent surtout le regard et l’observation, la saisie. Le rassemblement des fusains contreplaqués (comme on plaquerait quelqu’un à terre), des terres cuites, des grands fusains qui ont la même valeur que des agrandissements photographiques rendent le visiteur sensible à un environnement qui, autant que les références citées ou intégrées selon différent niveaux de lecture, constituent une culture visuelle et ses différents modes ou rites de passage qui font d’Eugène Dodeigne un sculpteur romantique.

    Commissariat d’exposition : Nicolas Surlapierre, Conservateur au Musée d’art moderne Lille Métropole assisté de Claire Casedas, Chargée de mission



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