Contact
Email
Partenariat
Annuaire gratuit Référencement
Vente en ligne
Achat tableaux peintures
Découverte
Expositions Médias Bio
Voyager
Série Afrique
Série Paysage
Frémir
Jack the Ripper
Roswell
Rire
Ali Baba
Vache folle
Techniques
Aquarelles
Encres
Mythes
Vénus
Saint georges
Séries
Restaurants
Rats
peinture

La Cité interdite au Louvre

Empereurs de Chine et rois de France

Musée du Louvre, Paris

Exposition du 29 septembre 2011 - 9 janvier 2012




Le Louvre et la Cité interdite : un parallèle par Guillaume Fonkenell
Texte extrait du catalogue de l’exposition La Cité interdite au Louvre. Empereurs de Chine et rois de France, sous la direction de Jean-Paul Desroches, Coédition Musée du Louvre éditions / Somogy.
Article de référence : exposition La Cité interdite au Louvre

Vouloir tisser un parallèle entre le Louvre et la Cité interdite est-il pertinent ? Peut-on comparer le château d’un petit royaume au coeur de l’Europe avec la demeure d’un souverain qui règne à l’échelle d’un continent ? Y a-t-il un sens à vouloir suivre cote à cote sur une durée de 800 ans l’histoire de deux lieux séparés par près de 9000 kilomètres ? Peut-on enfin utiliser le principe du parallèle, une pratique occidentale à plusieurs titres, pour réfléchir sur un monument emblématique de la civilisation chinoise ?

Qu’il n’y ait eu aucune interaction entre le Louvre et la Cité interdite est une évidence, mais cela n’enlève pas toute pertinence à une analyse croisée. Le parallèle, tel que l’a conçu Plutarque au début de notre ère, met en relation deux sujets (des personnages historiques chez lui) sans rapport ni spatial, ni temporel l’un avec l’autre pour analyser leur formation, leur évolution et découvrir des enchaînements communs. Le parallèle est d’abord un exercice mnémonique : reprendre les grandes scansions de l’histoire de France, incarnées dans l’espace du Louvre, et décrire ce qui se passe au même moment de l’autre côté de la planète est un moyen aisé de rentrer, en partant du connu pour aller vers l’inconnu, dans une histoire de la Chine plus lointaine. Mais le parallèle va plus loin : il suppose, dans une logique structuraliste, qu’à une situation donnée, des problématiques et des réponses analogues peuvent surgir. Enfin, ce parallèle auquel aujourd’hui nous pourrions répugner, les Français et les Chinois l’ont pendant longtemps accepté. Ces deux pays qui ne se connaissaient (presque) pas se percevaient comme équivalents de part et d’autre du globe. Au Moyen Âge ou au temps de Louis XIV, la France et la Chine ont traité d’égal à égal.

L’édification du Louvre, entreprise en 1190 et achevée avant 1204 est la conséquence de la transformation progressive de Paris, centre économique prospère, en capitale politique (siège de l’administration monarchique), et culturelle (lieu de l’université). Avant son départ pour la croisade, le roi Philippe Auguste (1180-1223) décide de fortifier la rive droite de la capitale ; à la jonction entre la muraille et la Seine qui traverse la ville se trouve un point faible qu’il fait renforcer par une petite forteresse : le Louvre est né. C’est un édifice régulier de 60 m de côté environ, presque carré, à fonction strictement défensive ; le centre de la cour est occupé par un donjon circulaire, tour refuge protégée par un fossé. Le roi n’y réside pas et il occupe plutôt, lorsqu’il est à Paris, le palais de la Cité.

La situation en Chine est bien différente : l’Empereur doit régner sur un domaine immense, dont les frontières varient au gré des alliances et des enjeux. Les changements dynastiques sont fréquents : au moment où les Capétiens se fixent à Paris, la dynastie Jin fait de Zhongdu, l’actuel Pékin, sa capitale et elle y bâtit un premier édifice de forme régulière, mais tout est remis en question par l’invasion des Mongols, la prise de la ville en 1215 et la destruction du palais. Pékin ne redevient capitale sous le nom de Dadu qu’avec Kubilai Khan (1215-1294), figure centrale de la dynastie Yuan. Il ordonne la construction d’une nouvelle ville avec son palais, au nord de la précédente. Ce sont ces édifices, également disparus aujourd’hui, que Marco Polo décrit dans son livre des Merveilles.

Au XIIIe siècle, l’Asie et l’Occident ne s’ignorent plus du fait des échanges le long de la route de la Soie. Il s’entrouvrent l’un à l’autre grâce à la « pax mongolica » qui abolit les frontières créant un domaine eurasiatique immense. On verra certains souverains manifester un réel intérêt pour les connaissances venues de l’ouest. Avec le développement des Croisades, des alliances sont envisagées entre Mongols et Chrétienté pour combattre les Mamelouks, comme en témoigne une correspondance adressée à Philippe IV le Bel (1285-1314).



Au XIVe et au XVe siècles, le Louvre se transforme. L’annexion de la Normandie et l’extension vers l’ouest de Paris diminuent son intérêt militaire. Sous le roi Charles V (1364-1380), le château, surélevé, orné, percé de fenêtres, réaménagé, devient l’une des principales résidences royales dans la capitale. C’est là que le roi place, dans une tourelle de ses appartements privés, sa célèbre « librairie », sa bibliothèque où il conserve une précieuse mappemonde sur laquelle figure la représentation de Pékin et du palais du grand Khan, tandis que ses frères collectionnent les objets chinois.

En Chine, une nouvelle dynastie s’est imposée, les Ming : après un intermède d’une cinquantaine d’années, Pékin redevient capitale, à l’initiative de Yongle (1402-1424) et un nouveau palais est édifié. Yongle est également le commanditaire du Yongle dadian, une grande encyclopédie, véritable abrégé des savoirs du monde dont un exemplaire complet était conservé à la Cité interdite. Le parallèle avec Charles V, le roi lettré dans sa bibliothèque du Louvre, s’impose. Contrairement à ses prédécesseurs qui avaient toujours choisi de construire une ville nouvelle à côté de l’ancienne, Yongle décide de construire son palais sur l’emplacement de celui des Yuan. Cette nouvelle Cité interdite fixe les grands axes du palais visible aujourd’hui. D’environ 765 m de large sur 960 m de long, ses dimensions sont sans comparaison avec le Louvre plus modeste de Charles V, 178 sur 150 m même en comptant les dépendances anarchiques qui entourent l’édifice. Construite ex nihilo entre 1406 et 1420, la Cité interdite mobilisa sans doute plus de cent mille ouvriers et exigea des approvisionnements exceptionnels en bois, venu des forêts du sud de la Chine, et en pierre extraite des carrières de marbre du nord. Le palais obéissait à des règles de géomancie et pour le protéger des influences néfastes du nord, l’Empereur fit ériger de ce côté une colline artificielle.

La cité neuve de Yongle est loin du « rapetassage » de Charles V, transformant une vieille forteresse en résidence, mais les deux édifices ne sont pas sans points communs. La cité de Yongle est puissamment fortifiée par une muraille renforcée par des tours carrées et par des fossés, principe également adopté au Louvre où Charles V a soigneusement conservé les fossés, les pont-levis et le donjon de la forteresse originelle. La Cité interdite de Yongle est organisée de manière parfaitement ordonnée le long d’un axe de symétrie nord-sud qui correspond également à la séquence d’accès à l’Empereur, le long d’un parcours monumental qui culmine avec l’ensemble de trois salles de réception, Fengtiandian, Huagaidian et Jinshendian. Au Louvre, Charles V a voulu à une échelle plus modeste un programme analogue : après être entré par un grand portail orné de sa statue et de celle de son épouse, le visiteur traversait la cour puis empruntait un grand escalier en vis, scandé par les statues des prédécesseurs du roi. Il accédait enfin à la grande salle du logis du roi qui desservait deux suites de pièces, la première sans doute publique, la seconde plus privée. La partition entre lieu de réception et espace de vie se retrouve dans la Cité interdite de Yongle, mais à une échelle différente : le souverain réside dans un ensemble de bâtiments au nord de la cité, à l’opposé de la porte d’entrée. Contrairement à la situation parisienne, la Cité interdite de Yongle contribue à redéfinir l’urbanisme général de Pékin. Le plan orthogonal de la ville est aligné sur le rectangle du palais et une grande avenue, dans l’axe de la porte principale traverse toute la cité vers les grands sanctuaires du sud de la ville : le temple de l’Agriculture et le temple du Ciel. L’absolutisme impérial et la concentration des moyens de l’Empereur de Chine lui permettent de bâtir un ensemble palatial cohérent, noyau de sa capitale, là où le roi de France doit se contenter d’une demeure engoncée au milieu d’un réseau viaire aléatoire et étroit. En pratique, le roi de France doit souvent avoir recours à des bâteaux sur le fleuve pour se déplacer au sein de sa capitale, là où l’Empereur peut emprunter librement d’immenses avenues.

L’oeuvre de Yongle est telle que ses deux principaux successeurs Xuande, (1425-1435) et Chenghua (1465-1487), font peu de transformations dans leur palais et leur ville. Au même moment, le Louvre est pratiquement abandonné. Désertée après le règne de Charles VI et l’occupation anglaise, la capitale est ensuite dédaignée par les souverains français qui préférèrent s’installer dans le Val-de-Loire, base de repli stratégique puis séjour d’élection durant tout le XVe siècle.

C’est le retour de François Ier (1515-1547) en France après sa captivité espagnole, qui marque un nouveau départ pour le Louvre. Le souverain décide en 1526 de s’installer à Paris et de moderniser son château, dont il fait raser le donjon pour agrandir la cour dès 1527 et dont il ordonne la reconstruction totale par partie un an avant sa mort. Son fils Henri II (1547-1559) poursuit son oeuvre, mais en restant toujours à une échelle modeste. La reconstruction du Louvre est avant tout une modernisation radicale, suivant l’esprit d’une période qui s’est qualifiée elle-même de Renaissance : le roi ordonne l’adoption d’un langage architectural nouveau, conciliant la grande tradition française avec les inventions importées d’Italie et la leçon de l’antiquité. Le château doit désormais être construit de manière régulière autour d’un axe de symétrie et suivant des proportions précises. L’ornementation de la façade utilise les ordres d’architecture copiés des modèles romains, mais comporte surtout un décor sculpté qui est un véritable portrait symbolique du souverain : des figures humaines représentent ses qualités de roi guerrier et de roi porteur de paix. Les initiales d’Henri II et les symboles lunaires qu’il a adoptés envahissent les détails. Le roi a signé, en quelque sorte, son oeuvre, une pratique que tous les souverains après lui, vont poursuivre. À la Cité interdite au contraire, l’Empereur en tant que personne reste absent de l’architecture et ce sont d’autres objets, son sceau ou sa calligraphie par exemple, qui sont chargés de transmettre son identité.

La sculpture du palais chinois obéit à une symbolique séculaire avec les grands lions gardant les portes ou le dragon, animal mythique associé à toutes les dynasties depuis les Han (206 av. J.-C., 220 ap. J.-C.). Les couleurs sont chargées de sens et codifiées. Le palais est qualifié de Cité pourpre interdite, du nom de la couleur de son enceinte, mais aussi référence au nom de famille de la dynastie, Zhu, « rouge vermillon ». La toponymie enfin joue également un rôle essentiel (alors que le nom des parties du château français connaît bien des hésitations et des variations). Ainsi, durant tout le règne des Ming, la grande salle du trône est désignée comme le « Hall de la suprématie impériale » et il faudra attendre un changement dynastique pour qu’il soit désigné sous son nom actuel de « Hall de l’harmonie suprême ».

Si le Louvre de la Renaissance reste un édifice de taille modeste, la veuve d’Henri II, Catherine de Médicis, est à l’origine d’une extraordinaire extension du site. À la recherche d’espace, elle crée à partir de 1561 pour son usage personnel un vaste domaine situé 500 m à l’ouest du Louvre, dans un ancien faubourg d’artisans tuiliers qui donnent leur nom au nouvel édifice qu’elle entreprend : les Tuileries. Ce qui compte pour elle, ce sont surtout le grand jardin de 580 m sur 320 m avec ses écuries, et non le palais dont elle ne terminera jamais la construction. Au début du XVIIe siècle, Henri IV (1589-1610) décide de réunir le Louvre et les Tuileries de Catherine de Médicis par une grande galerie de 160 m le long de la Seine. Le petit Louvre d’Henri II doit à cette occasion être agrandi : les ailes ouest et sud, déjà construites, doivent être doublées en longueur et la cour doit donc quadrupler en surface. Le grand projet d’Henri IV qui s’étend d’après les plans sur 1 km de long sur 320 m de large peut rivaliser en dimensions avec la Cité interdite de Pékin et témoigne d’une ambition sans équivalent en Europe. Il faudra plus de deux cent cinquante ans pour l’achever, car le roi n’arrive pas à repousser la ville qui vient battre les flancs du palais. Les travaux entrepris obligent à abandonner une grande partie des dispositifs défensifs jusqu’alors en vigueur : si le coeur du Louvre, la Cour carrée, reste entouré d’un fossé, il n’en va pas de même des Tuileries et des jardins, protégés par de simples murs sans tour ni chemin de ronde. Pendant que le Louvre se transforme, les principaux représentants de la dynastie Ming, Jiajing (1522-1566), Wanli (1573-1619) et Tianqi (1621-1627) continuent à occuper la Cité interdite pieusement conservée et il faut attendre le règne de Chongzhen (1627-1644) pour assister à la reconstruction des trois grands pavillons servant d’espace de réception, aujourd’hui appelés Taihedian, l’Harmonie suprême, Zhongedian, l’Harmonie parfaite et Baohedian, l’Harmonie préservée. Ce souverain est le dernier représentant des Ming et c’est sur la colline artificielle élevée au nord du palais qu’il se donne la mort, au moment des troubles qui aboutissent à la chute de sa dynastie et à l’avènement des Qing, qui régneront sur la Chine jusqu’en 1912.

Durant la seconde moitié du XVIIe siècle, la Chine et la France connaissent parallèlement deux règnes exceptionnellement longs et une période d’apogée : Louis XIV (1643-1715) est le contemporain de l’Empereur Kangxi (1661-1722). Les deux souverains entrent en contact par l’intermédiaire de l’ordre des Jésuites qui s’est établi en Chine dès le début du XVIIe siècle. Par leur entremise, Kangxi fait parvenir à Louis XIV un ensemble d’ouvrages imprimés qui constituent un florilège de la littérature et des recherches scientifiques chinoises. Les deux souverains s’attachent à conserver les palais de leurs prédécesseurs, mais profondément transformés. En 1667, le projet d’Henri IV d’achèvement de la Cour carrée est repensé : à l’est, du côté de l’entrée principale, est édifiée une façade monumentale, connue sous le nom de Colonnade, du nom de son principal ornement. L’espace d’habitation du souverain du côté de la rivière est également profondément modifié : une nouvelle façade, édifiée 8 m en avant de celle qui existe permet de créer des pièces plus vastes et une distribution plus complexe que celle imaginée du temps d’Henri II. Aux Tuileries, Louis XIV surélève et agrandit les bâtiments existants pour se doter d’une sorte de résidence annexe. Il fait redessiner le jardin qui s’ouvre vers l’horizon par une grande avenue, alors tracée en pleine campagne, les Champs Élysées. Ce grand axe, aligné sur le pavillon central des Tuileries, va devenir l’épine dorsale de développement de l’ouest parisien ; pour la première fois, le palais français organise la ville autour de lui. Les grands travaux de Louis XIV sont cependant abandonnés à partir de 1671, date à laquelle le roi décide de quitter Paris, d’abord pour Saint-Germain-en-Laye, puis pour Versailles où il édifie une demeure entièrement neuve autour du petit château préservé de son père. Au Louvre, les grands appartements prévus pour accueillir les ambassadeurs des nations du monde, et en particulier celui réservé pour la Chine, ne seront jamais édifiés.

Quant à Kangxi, il suit la tradition des Qing qui ont décidé de s’installer dans le palais de leurs prédécesseurs, et il poursuit la modernisation de la cité. Les trois portes principales, endommagées lors de la chute des Ming, Qianmen, la porte principale, Tian`anmen, la porte de la Paix céleste, Wumen, la porte du Méridien, avaient été refaites par son père dès 1651.

En 1697, Kangxi fait reconstruire le pavillon Taihedian, l’Harmonie suprême, le premier et le plus vaste. Avec ses 65 m de long et ses 26 m de haut, il est bien différent de la longue façade de la colonnade du Louvre qui s’étend sur presque 150 m, mais non moins solennel. L’architecture des deux palais obéit à des principes opposés. Les constructeurs chinois érigent sur une haute terrasse de marbre blanc, une architecture de bois laqué de couleurs vives ; les Français élèvent un mur entièrement monochrome en pierre ocre extraite du Bassin parisien. À la Cité interdite, la complexité du dessin augmente avec l’élévation et culmine avec les extraordinaires toitures doubles à croupes et arêtiers complexes ; au Louvre, les toits sont entièrement dissimulés. L’emploi du bois permet en Chine de bâtir une salle entièrement portée par des colonnes et où les murs ne forment que des écrans ; les possibilités du matériau sont utilisées de manière optimale et les techniques d’assemblage des pièces permettent d’assurer une grande stabilité à l’édifice, conçu selon un savant système d’équilibre de part et d’autre des points d’appui ; la pierre, que les Français veulent utiliser, les obligent à recourir à un artifice structurel : un réseau de tringles et de tirants de métal dissimulés au coeur de la construction vient renforcer la construction et permettre des portées supérieures à celles autorisées par ce matériau pesant. À Pékin, les colonnes créent un vaste espace à plusieurs nefs ; à Paris, elles forment un décor plaqué contre un mur opaque.

Après la mort de Kangxi et le règne assez bref de Yongzheng (1723-1735), un autre Empereur connaît une longévité exceptionnelle : Qianlong (1736-1795) est le contemporain de Louis XV (1715-1774) et survit même à Louis XVI (1774-1792). S’il continue toujours à occuper en hiver la Cité interdite qu’il restaure méticuleusement (l’espace monumental est en grande partie refait en 1765, l’architecture en bois du palais exigeant des réparations régulières), il réaménage pour la belle saisons le palais du Yuanmingyuan à l’ouest en dehors de la ville, connu surtout pour ses jardins, résumés des paysages de Chine du Sud. Il y emploie également des artistes jésuites, tels Giuseppe Castiglione (1688-1766) ou Jean-Denis Attiret (1702-1768) qui ont développé pour lui un style original, fusion entre les règles propres au génie du lieu et les inventions réalistes de le tradition occidentale. En France, la Chine intrigue également les artistes, mais elle devient souvent le prétexte à un exotisme facile. Les objets chinois sont souvent détournés de leur sens, recombiné ou montés à la française. Les peintres multiplient les grandes scènes de genre décoratives en tapisserie ou ornent de petites saynettes les panneaux lambrissés des appartements, les fameuses « chinoiseries ». En 1775, le ciel du Val-de-Loire se hérisse d’une pseudo pagode commandée par le grand ministre Choiseul dans son domaine de Chanteloup et ornée de pilastres et de décors à la grecque. À la fin du siècle, cependant, un intérêt plus authentique apparaît : si la reine Marie-Antoinette collectionne surtout les laques japonais, elle possède également un ensemble chinois qu’elle conserve sans le « chinoiser ». Louis XV et Louis XVI ont abandonné le Louvre au profit de Versailles. Le palais, en grande partie inachevé, prend des allures de ruine à l’antique au coeur de Paris, provoquant l’émotion de milieux érudits et de timides travaux de la part de l’administration royale. Que faire de cet édifice désormais sans affectation ? A partir des années 1750, apparaît l’idée d’y créer un muséum : un espace réservé à la présentation des collections royales que l’on souhaite montrer au public, mais aussi un lieu d’érudition avec la bibliothèque royale et des Académies de savants. L’idée reste à l’état de projet, mais l’avenir du Louvre est tracé. La Révolution française, qui entraîne le retour du roi à Paris ne le contrarie pas vraiment : le souverain s’installe désormais aux Tuileries et laisse le Louvre pour le musée, ouvert en 1793.

Avec la Révolution, s’ouvre en France, le temps des convulsions : en quatre-vingt ans, huit régimes se succèdent. Les Tuileries, lieu de résidence des souverains, sont le théâtre de cette instabilité. Certains arrivent à poursuivre les travaux. L’Empereur Napoléon Ier (1804-1815) entreprend l’édification d’une galerie symétrique à celle construite par Henri IV et son petit-neveu Napoléon III, parvient entre 1852 et 1857 à achever enfin le « grand dessein » imaginé par Henri IV. La cour qui porte son nom et qui marque aujourd’hui l’entrée du musée par la Pyramide permet de dissimuler partiellement le défaut d’alignement entre le Louvre et les Tuileries. Toutefois, elle n’obéit pas à une symétrie aussi rigoureuse que celle qui préside à l’ordonnance parfaite de la Cité interdite. Les nouvelles procédures législatives qui donnent plus de pouvoir aux gouvernements permettent également d’accomplir ce dont la monarchie avait rêvé : mettre la ville à l’écart et la repousser en dehors du palais. Désormais débarrassés du quartier qui était bâti entre le Louvre et les Tuileries, clairement séparés de la ville par de larges avenues (en particulier la rue de Rivoli entreprise par Napoléon Ier et prolongée par Napoléon III jusqu’au coeur de la capitale) et entourés de jardins protégés par des grilles, le Louvre et les Tuileries ressemblent à une vaste cité administrative abritant le souverain et les principaux services, défendue par un important dispositif militaire et par des portes qui permettent de fermer entièrement l’espace. Cette situation ne dure que neuf ans : après la chute de Napoléon III et la guerre civile qui s’ensuit, le palais des Tuileries est incendié puis démoli (1871-1882), créant un vide et une nouvelle ouverture sur la ville à l’ouest.

La Chine connaît également d’importants bouleversements, marqués par des conflits avec des puissances étrangères et par des révoltes intérieures. Après le règne de l’empereur Daoguang (1820-1850), c’est l’une des concubines de son fils Xianfeng qui s’impose peu à peu : Cixi (Tseu Hi) gouverne durant toute la seconde moitié du XIXe siècle, y compris sous le règne de son neveu Guangxu (1875-1908). Avec la chute de l’Empire en 1912 et le départ du dernier empereur, Puyi, en 1924, la Cité interdite connaît une situation analogue à celle du Louvre déserté ; comme lui, elle est aujourd’hui consacrée à un musée présentant les riches collections impériales qui y sont conservées.

Au-delà des différences, des usages locaux, des divergences de l’histoire, la Cité interdite et le Louvre ont en commun donc d’étranges affinités : ces deux lieux de pouvoir sont devenus des musées ouverts au public, situation qu’ils partagent avec l’Ermitage de Saint-Pétersbourg ou la Hofburg de Vienne. Surtout, même s’ils se sont construits de manières bien différentes, et si le geste grandiose de Yongle s’oppose à la lente gestation française, il s’agit de deux des plus grands ensembles palatiaux aujourd’hui visibles dans le monde, des lieux qui par leur complexité architecturale et leur histoire sont comme des résumés des pays qui leur ont donné naissance.



montres molles
peinture aquarelle
Galerie d'art contemporain
Peintures, sculptures et objets d'art