Michal Rovner

Au printemps 2011, le musée du Louvre invite Michal Rovner à investir la cour Napoléon, le Louvre médiéval et deux salles du département des Antiquités orientales. Ces trois créations d’envergure font particulièrement écho à la dimension universelle du musée.

Artiste israélienne, révélée en 2005 à l’occasion de sa rétrospective « Fields of Fire » au Jeu de Paume, Michal Rovner, marquée par les conflits sociopolitiques du Moyen-Orient, développe une oeuvre multimédia sur les thèmes de l’archéologie, de la mémoire et du territoire. « Histoires est une chaine continue de ruptures » dit Michal Rovner qui envisage le passé dans son perpétuel mouvement.

Pour cette exposition, Michal Rovner choisit d’investir l’esplanade de la cour Napoléon, où l’artiste présente deux constructions monumentales en pierre, l’une en ruines, l’autre bâtie. Ces édifices intitulés Makom, « espace » en hébreu, sont construits par des maçons israéliens et palestiniens avec des pierres collectées dans les décombres de maisons israéliennes et palestiniennes. Makom II est construit avec des pierres collectées de Jérusalem, Galilée, Hébron et Bethléem, ainsi que d’autres lieux… Malgré leurs différentes tailles, l’artiste décide de ne pas les tailler au même format mais de les assembler de telle sorte qu’elles s’emboitent parfaitement. De ce puzzle assez complexe, résulte un grand cube d’environ 5 m de large par 3 m de haut, percé d’une fenêtre verticale. En face, le Makom IV, en partie détruit, est une nouvelle réalisation en pierre volcanique sombre venant de la frontière avec la Syrie, marquée violemment d’une large faille sur l’un de ses côtés.

L’exposition s’étend dans les fossés médiévaux et les salles du département des Antiquités orientales du musée consacrées à la Syrie, à la Jordanie et à la Palestine. L’artiste projette deux immenses fresques directement sur les murs des fossés médiévaux. En renvoyant des images du musée sur les pierres irrégulières des fondations, Michal Rovner recrée une vision futuriste de la restauration du Louvre. La seconde projection est composée de milliers de petites figures mobiles qui ressemblent à un énigmatique texte ancien.

Concevant ses oeuvres in situ, l’artiste opère ainsi par strates, faisant se superposer les façades du palais et les fondations et dialoguer ses écritures de silhouettes animées avec les inscriptions antiques des stèles et des sarcophages. L’artiste livre une oeuvre engagée, sensible et méditative abolisant les frontières entre les époques et les cultures.

"Histoires… tel est le titre de l’exposition de Michal Rovner au Louvre, et aucun ne pouvait, aussi profondément et justement, entrer en résonnance avec les enjeux du musée. Le musée est par excellence le lieu qui convoque l’Histoire, et les histoires. La grande histoire des peuples, des civilisations disparues, mais aussi les histoires individuelles de ceux qui ont laissé leurs traces sur les pierres, qui ont fabriqué ces objets, et enfin l’histoire contemporaine véhiculée par les artistes vivants qui portent un regard actuel sur les collections anciennes et sur la fonction même du musée. Michal Rovner, artiste israélienne dont l’oeuvre a une portée universelle, interroge, dans cet ambitieux et magnifique projet, l’archéologie, le passé et le présent toujours brûlant du Moyen Orient, la construction et la destruction des vestiges et des ruines. Elle a choisi d’investir trois lieux symboliques qui définissent pour le Louvre un territoire sans frontières géographiques ou temporelles et qui permettent de rassembler des artisans venus de nations voisines, Israël et la Palestine, pour une construction monumentale, conjuguant les savoirs ancestraux des bâtisseurs. Dans la Cour Napoléon, les deux Makoms, II et IV, l’un construit avec une fente verticale, l’autre avec une ouverture horizontale, mais fendu violemment et à moitié détruit, font un contrepoint à la pyramide. Ces « espaces » ont été reconstruits avec des pierres venant de maisons en ruines. Dans les collections du département des antiquités orientales, elle présente des projections d’images sur des stèles antiques marquées par les craquelures du temps, puis dessine avec un faisceau lumineux la silhouette fragile d’une femme sur un bloc de pierre ou sur des fragments de minéraux venants du désert. Sur les fossés de pierre du Louvre médiéval, qui constituent les vestiges enfouis du Palais de Charles V, elle projette une image visionnaire du musée, et inscrit des lignes d’écriture indéchiffrable formée d’innombrables silhouettes miniatures. Cette mise en abyme et ce renversement entre l’intérieur et l’extérieur, entre le dessus et le dessous, entre les vestiges anciens et les vestiges contemporains, entre les murs construits et les murs détruits, nous incitent à une triple réflexion sur les migrations des objets et des peuples, sur la possible coexistence pacifique des peuples séparés réunis par un travail commun, mais aussi sur la menace de destruction qui pèse sur les édifices fragiles de l’humanité.

Je tiens à remercier tout particulièrement l’artiste et sa talentueuse équipe pour leur total engagement dans cette nouvelle production faite spécialement pour le musée du Louvre, ainsi que le mécène, LVMH / Moët Hennessy. Louis Vuitton et la Pace Gallery qui ont permis la réalisation de ces constructions monumentales qui confèrent au Louvre un nouvel espace hors limites."

Par Henri Loyrette
Président-directeur du musée du Louvre