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Edvard Munch

L’oeil moderne

Centre Pompidou, Paris

Exposition du 21 septembre 2011 – 9 janvier 2012




"Ecris ta vie !" Photographie et autobiographie - Extrait du catalogue par Clément Chéroux

Article de Référence : exposition Edvard Munch L’oeil moderne, Centre Pompidou, Paris, 2011.

Edvard Munch appartient à une génération d’artistes – celle des Pierre Bonnard, Édouard Vuillard, Félix Vallotton, Alfons Mucha, Fernand Khnopff, Franz von Stuck et quelques autres – tous nés aux alentours de 1860, et qui ont atteint une première maturité stylistique dans les deux dernières décennies du XIXe siècle, au moment du grand essor de la photographie amateur. C’est, en effet, à partir des années 1880, avec le développement d’un nouveau support sensible, le gélatino-bromure d’argent, et toute la révolution technologique qui en découle, que la photographie devient plus simple d’emploi. Le nombre de photographes amateurs augmente comme jamais jusqu’alors. C’est la première véritable démocratisation de la photographie. Malgré leurs très grandes différences picturales, Bonnard, Vuillard, Vallotton, Mucha, Khnopff, Stuck et Munch ont en commun de s’être, à un moment ou à un autre, emparés de l’appareil photographique pour conserver la trace de la position d’un modèle, prendre des notes visuelles, réaliser quelques autoportraits, fixer des souvenirs de voyage ou de famille. Ils constituent la première génération de peintres à avoir été aussi des photographes amateurs.

munch pompidou expo

C’est en février 1902, à Berlin, que Munch commence à photographier. Il utilise alors un appareil amateur parmi les plus courants de l’époque : le Bull’s-eye Kodak no 2 fabriqué par la firme américaine Eastman. C’est une simple boîte rectangulaire en noyer gainée de maroquin noir qui mesure 11 x 12 x 15 cm et pèse 600 grammes. Elle ne possède que deux fonctionnalités : une petite tirette permet de choisir entre l’instantané et la pose ; une autre permet de régler, en fonction de la lumière, et selon trois positions différentes, l’ouverture du diaphragme. Il n’y a pas de mise au point à faire. L’objectif à foyer fixe est préréglé pour être net à partir d’un mètre environ jusqu’à l’infini. L’appareil est équipé d’un viseur qui sert moins à cadrer qu’à s’assurer que le sujet à photographier est bien dans le champ. Ce Kodak permet de réaliser six ou douze vues d’affilée sur un film gélatino-argentique souple. Les négatifs, qui mesurent 9 x 9 cm, sont tirés par contact, c’est-à-dire sans agrandisseur. Le travail peut-être fait dans les officines Kodak, mais celles-ci commercialisent également des kits de développement qui permettent à l’amateur de réaliser lui-même ses tirages dans une chambre noire improvisée, un placard ou une salle de bain, par exemple. Les empreintes digitales qui figurent sur plusieurs photographies de Munch indiquent qu’il a très probablement procédé lui-même au développement de ses films. Il utilise cet appareil jusqu’en 1910, puis s’arrête ensuite de photographier pendant 16 ans.

À la fin de l’année 1926, Munch s’intéresse à nouveau à la photographie. Il offre un appareil de format 8,2 x 14 cm à sa soeur Inger et lui apprend à photographier. Il achète pour lui-même un nouveau Kodak Vest Pocket à soufflet de format 4 x 6,3 cm qui, une fois replié, ne mesure que 2,5 cm d’épaisseur et se range aisément dans la poche. Équipé d’un viseur assez clair, de quatre temps de pose différents et de cinq ouvertures de diaphragme, c’est un appareil un peu plus élaboré que celui qu’il possédait au début du siècle. L’existence dans les archives de Munch de négatifs de format 8,3 x 10,8 cm indique qu’à cette époque, il possède encore un autre appareil qu’il n’a pas été possible d’identifier. Les images correspondant à ces négatifs ont été tirées par contact, mais sans doute plus par Munch lui-même. La présence, dans les archives de cinq épreuves d’un même négatif laisse à penser qu’un commerçant lui a proposé un échantillon de différents types de tirages. Pour compléter l’évocation de l’équipement technique de Munch, il faut ajouter qu’il fit également l’acquisition, lors d’un voyage à Paris en 1927, d’une petite caméra de cinéma amateur Pathé-Baby. C’est dire si cette deuxième phase de son intérêt pour l’image analogique, qui s’étendra jusqu’en 1932, fut particulièrement intense.

Comparée à la production photographique d’un Vuillard, qui compte plusieurs milliers de clichés, celle de Munch est assez réduite : seulement 244 tirages pour 183 motifs différents.

Dans le panorama des artistes qui se sont à l’époque emparé de la photographie, elle est assez singulière. Pour les peintres de cette génération, l’utilisation de la photographie répond principalement à deux motivations : documentaire ou familiale. Mucha, Khnopff ou von Stuck photographient leurs modèles dans les attitudes qu’ils souhaitent ensuite transposer sur la toile. La photographie n’est pour eux qu’un prolongement de la séance de pose. Pour Bonnard, Vuillard et Vallotton, l’appareil sert avant tout à conserver la trace d’instants de bonheur passés entre amis, en couple, ou en famille. Certes, en quelques occasions, leurs clichés ont fait l’objet après-coup d’une retranscription sur la toile, mais ce n’était en aucun cas la motivation première ou principale de leur pratique photographique.



Les photographies de Munch ne correspondent, globalement, à aucune de ces deux pratiques. Seules deux photographies représentant des modèles nus peuvent être directement associées à des motifs picturaux. Mais il est difficile de dire si Munch a directement peint d’après photographie, ou s’il s’est simplement contenté de photographier son modèle lorsqu’il peignait ; ce qui implique, on en conviendra, un rapport de cause à effet assez différent. Aucun de ces deux exemples ne montre en tout cas un usage documentaire de la photographie aussi systématique et manifeste que chez Mucha, Khnopff ou Stuck. S’il y a bien chez Munch une petite dizaine de clichés représentant sa soeur Inger, sa tante Karen Bjølstadt, ou quelques amis à Kragerø, s’il a beaucoup photographié ses toiles qu’il considérait un peu comme ses enfants, il est cependant difficile de considérer l’ensemble de sa production à travers le seul prisme de la photographie de famille comme pour Bonnard, Vuillard ou Vallotton.

munch pompidou

Ce qui distingue fondamentalement Munch des autres peintres qui, à la même époque, ont aussi pratiqué la photographie, c’est la quantité d’autoportraits qu’il a réalisés. Parmi toutes les images conservées au Musée Munch, une image sur trois représente l’artiste lui-même. Bonnard, Vuillard, Vallotton, Mucha, Khnopff ou Stuck se sont certes aussi photographiés, mais pas dans une telle proportion. Les toutes premières photographies prises par Munch, immédiatement après avoir fait l’acquisition de la boîte Kodak, sont deux autoportraits assis sur un coffre dans l’atelier de Berlin, qu’il envoie à sa tante Karen le 14 février 1902 avec ce mot : « Ci-joint deux photographies prises avec une petite caméra que j’ai achetée. Comme tu peux le voir, j’ai rasé presque toute ma moustache. » Dans les différents lieux où il photographiera par la suite, à Åsgårdstrand en 1904, à Warnemünde en 1907, à Copenhague pendant l’hiver 1908-1909, puis encore à Ekely en 1930, c’est toujours le désir d’autoreprésentation qui domine. Il faut ici noter que la plupart des autoportraits photographiques du peintre le représentent de profil ou de trois-quarts dans une disposition du visage que le miroir ne permet pas de voir.

Dans une lettre à son ami Ludvig Ravensberg datée du 23 juin 1904, Munch écrit : « Quand je vis mon corps photographié de profil, je décidai, après avoir consulté ma vanité, de consacrer davantage de temps à jeter des pierres, lancer le javelot et me baigner. » Derrière ce qui s’exprime ici sur le ton badin d’une confidence amicale, il faut comprendre que Munch utilise l’autoportrait pour se dévisager. « Connais-toi toi-même » dit l’adage grec inscrit au fronton du temple de Delphes. Pour Munch, la photographie est l’instrument de cette introspection. Elle lui permet de mieux appréhender son apparence.

Parmi les autoportraits de Munch, nombreux sont ceux où il s’est représenté au milieu de ses tableaux. Une photographie prise en 1909 dans son atelier de Kragerø est à cet égard particulièrement intéressante. Munch apparaît en pied, entouré des portraits à taille réelle de ses amis Ludvig Ravensberg, Jappe Nilssen, et Christian Gierløff, comme s’ils étaient vraiment là, comme si le peintre posait avec eux pour un portrait de groupe. Par l’intermédiaire de la photographie, Munch instaure une sorte de connivence ludique avec ses oeuvres. Durant l’hiver 1908-1909, à la clinique du docteur Daniel Jacobson, où il est soigné pour dépression, il pose ainsi dans un fauteuil en face d’un autoportrait peint qui le représente dans une semblable attitude, sur le même siège. Lors d’un séjour à Warnemünde, il se photographie de profil, entre deux toiles, représentant pour l’une des enfants et pour l’autre un vieillard, comme s’il était en train de parcourir le chemin qui sépare ces deux âges. Mais, ayant bougé pendant la prise de vue, son corps laisse voir en transparence un troisième tableau en arrière-plan, celui qui, de toute sa production, lui tenait le plus à coeur : L’Enfant malade. L’incorporation du peintre à ses propres oeuvres sera poussée plus loin encore dans une série d’autoportraits réalisés dans l’atelier d’Ekely en 1930. Dans un premier cliché, Munch apparaît face à l’appareil. Une autre image, réalisée exactement selon le même cadrage, montre que le peintre s’est déplacé pendant la pose. Il n’est désormais plus qu’un fantôme désincarné et transparent qui semble s’être projeté dans une toile à l’arrière-plan, dont le titre Métabolisme évoque précisément une transformation moléculaire et énergétique. Par la photographie, Munch fait corps avec ses toiles.

Munch connaissait cet effet fantomatique depuis 1902 déjà. En octobre de cette année, il l’avait utilisé pour photographier son exposition à la Galerie Blomqvist de Kristiania. Ouverte le 24 septembre, l’exposition n’était que peu visitée jusqu’à ce qu’une lettre anonyme appelant à son boycott ne soit diffusée par le journal Aftenposten le 2 octobre et ne déclenche la curiosité du public et un succès de scandale. Deux semaines plus tard, le 17 octobre, le journal satirique Tyrihans rendait compte de l’incident à travers une double caricature de Ragnvald Blix montrant l’exposition tout d’abord hantée par la silhouette solitaire de l’artiste, puis soudainement prise d’assaut par la foule. Comme Arne Eggum l’a bien montré, c’est cette caricature que Munch a remise en scène en utilisant des temps de pose prolongés pour signifier sa présence spectrale aux côtés de ses tableaux.

expo munch pompidou

Parallèlement aux autoportraits ou aux mises en scène avec tableaux, Munch a aussi régulièrement photographié ses toiles seules, mais, le plus souvent, sans se soucier des règles élémentaires de la reproduction des oeuvres d’art.

Les tableaux apparaissent ainsi de guingois, mal éclairés, le plus souvent coupés, ou parasités par des objets environnants. Les conditions de prises de vue sont tellement peu orthodoxes qu’il est difficile d’envisager ces images comme des reproductions documentaires. Sans doute serait-il plus juste de les considérer comme le résultat d’une sorte d’enregistrement compulsif. Munch photographie ses toiles comme des êtres chers dont il voudrait à tout prix conserver la trace de peur qu’ils ne disparaissent. Ces clichés sont en fait des portraits de tableaux.



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